Voyage au pays narcissique, Le déchiffrage des signifiants bilingues chez l'Homme aux loups

Voyage au pays narcissique *

Le déchiffrage des signifiants bilingues chez l'Homme aux loups

Barbara Bonneau

 

Si la langue peut être considérée comme  le meurtre de la Chose (das Ding),  les indices de ce meurtre peuvent se retrouver dans ces éléments de la langue devenue étrangère, surtout quand des « indiques » bilingues démasquent les signifiants originaires. Ces indiques se manifestent  souvent sous forme d’un démenti qui, chez les patients bilingues, s’ancre sur une langue avant de trouver leur expression dans une Autre langue.   Les signifiants qui accompagnent l’effroi devant la castration de la mère deviennent étrangers pour créer un substitut phobique à l’objet phallique fait  avec le blason anamorphique de la Chose. Cette forme de démentir permet ainsi au sujet d’esquiver la privation où il y a un trou réel.  Quant à l’obsessionnel, il tente d’annuler l’absence de l’Autre dans son rapport à la division en même temps qu’il « annule » la présence de l’analyste par son mimétisme verbal et l’anticipation d’un raisonnement, se constituant lui-même comme objet de jouissance de l’Autre.  Il peut faire apparaître ainsi sur la scène ce qui est coupé d’ordinaire de sa propre image spéculaire. Cette mise en scène de la question être ou ne pas être, fait écran ou barrière de la jouissance. Dans son versant d’Idéal du Moi, aussi bien que dans le versant de Surmoi, l’obsessionnel s’assure toujours de la présence de l’Autre au-delà de la question de jouissance en quémandant le phallus symbolique, soit sous forme de reconnaissance pour sa performance intellectuelle, soit sous forme de remontrance pour son activité masturbatoire. A la différence du pervers, le démenti obsessionnel se situe dans l’expression d’un contraire à l’intérieur d’une structure clinique de la névrose.  

 

L’importance des langues étrangères chez l’homme aux loups, dont le vrai nom était Serguei Pankejeff,   a été soulignée d’abord par Freud. .Selon certains auteurs, dont Torok et Abraham, le fétichiste en question dans l'article de 1927 de Freud, « Le fétichisme », n’est autre que ce même sujet.

 

D’après Freud, la partie du corps « érigé comme condition de  fétiche »[1], le nez ou plutôt l’image de son nez, sera donc ici identifiable par son équivalent symbolique : un phonème anglais qu’il associe à son propre nez.[2] L’homme aux loups avait une nurse anglaise et sa langue maternelle se confond presque[3] avec la langue anglaise.   Freud ne tire pas complément parti de la polysémie de significations du mot: nez. En effet, l’homme aux loups, s’il s’agit de bien de lui, se prête à une possession contemplative, fantasme au niveau de l’Autre à travers ces significations. Le désir de savoir, donc un manque, essentiellement refoulé chez l’homme aux loups comme désir d’un savoir sur la scène originaire, est prêté à l’Autre (ce pourquoi il n’a pas entièrement tort par rapport aux interrogations de Freud).

 

Le sujet semble vaciller avec ces différentes significations d’une identification au corps de la mère (nose[4]), à l’identification avec une image dans le fantasme, celle de lui-même au nez brillant (un regard sur le nez, pour se garantir de la présence de l’Autre),  à l’identification avec un des  Noms-du-père, le maître, celui qui sait,  (he knows), avec enfin  une positivation du phallus symbolique sous une forme anamorphique, le trou sur le nez brillant.

 

 Ainsi l’homme au nez brillant (l’homme aux loups) tente d’éblouir Freud par l’introduction de ces deux signifiants, (Glanz et nose) miroitant ainsi l’analyste dans sa dimension de « sujet supposé savoir », tout en introduisant le phallus avec tout son ambiguïté à la fois sur le plan imaginaire (comme phallus manquant)  et symbolique en référence à l’Autre (traduit dans le langage : He knows : il sait) [5].  La solution refoulée de l’énigme de savoir est prêtée à l’analyste.  

 

L’homme au nez brillant  s’engage ici  avec Freud dans un jeu de cache – cache, recouvrant l’objet du regard d’une image, façonnée à partir du symbolique, ou cet équivalent du mot d’esprit. Au lieu des pensées conscientes et inconscientes qu’il cherche à dissimuler, et qui sont demandées par l’Autre, il présente son nez brillant à l’observation de l’Autre,  il le montre.  Ici, l’objet a, comme regard sur le nez ou sur le brillant sur le nez, est à définir  comme  appartenant au sujet et non à l’Autre, mettant ainsi au clair la fonction de la disjonction du sujet à l’objet a, la disjonction du savoir de la vérité.[6]  En effet l’homme aux loups semble plutôt avoir construit un symptôme. Il  tient en réserve quelque chose de cette énigme de savoir par le biais d’une langue étrangère. Et il croit que son analyste est suspendu à ce quelque chose.  Bien qu’il  sache en partie ce qu’il cache du regard de Freud, (les bijoux venus de Russie qui aurait pu servir pour payer ses séances)  il ignore sa vérité de sujet qui passe par l’analyse de ce symptôme, dans toutes ses langues. Ce symptôme n’est pas le trou dans le nez, qui survient dans le surgissement momentané du phallus réel,  mais celui d’un brillant sur le nez. Or le phallus imaginaire s’incarne dans ce qui manque à l’image et c’est à cet endroit précis où paraît le phallus réel.      

 

Cependant, le déplacement métonymique, vient faire articuler ce signifiant avec celui du savoir et avec l’Autre, porteur du signifiant, le Maître Savoir, (He knows), le Maître Wolf, en l’occurrence Freud.  Sur un axe syntaxique, le signifiant du Maître de savoir, s’articule aussi avec un autre signifiant de la mère, nez, nose, ou né (avec un coiffe de bonheur) qui nous ramène encore au voile, dans lequel le sujet se sent enveloppé et pour lequel il a consulté Freud.

 

C’est le rapport à la mère qui m’intéresse ici, surtout la mère en tant qu’instance réel ou Chose sur laquelle le prélèvement d’un objet, ou lettre à l’occasion, semble déterminant dans le choix du symptôme.  C’est la mère dans  la scène originaire. L’homme aux loups se construit, d’après Freud, dans une identification à la mère lors de cette scène. Le W, deux V’s du (W)espe ou le W de Wolf n’est pas seulement une lettre dont la forme s’est déterminée après la vision du sexe maternel. Le W est aussi signifiant du désir de la mère et s’articule en conséquence à d’autres signifiants sonores. Accolé simplement aux signifiants du sujet, comme c’est le cas dans le mot Wespe, sans la production du mot d’esprit : espe, S. P., nous pouvons presque parler de la métonymie de la Chose, ou d’une holophrase.

 

Le rêve où le sujet arrache les ailes d’une guêpe (Wespe) laissant en place par voie de refoulement le mot d’esprit, Espe, montre en quoi la proximité des signifiants joue dans cette relation d’écart entre le narcissisme et la libido. Le  résultat surprenant de cette censure phonétique : Espe, est un Witz  et non un néologisme. Or, la conséquence de cette élision de la lettre sous transfert est d’autant plus étonnante qu’elle produit quelque chose qui se trouve être la définition du sujet en termes du signifiant pour Lacan, S.P., les initiales de Serguei Pankajeff.[7] Cette élision semble pertinente pour réfléchir sur l’opportunité de son utilisation comme paradigme pour un diagnostic différentiel, et du bilinguisme du surcroît.

 

Dédoublé, sous forme de lettre puis sous forme sonore de W, il commence déjà à s’éloigner et en analyse avec Freud, il se soumet à une forme métaphorisée de signifiant sonore refoulé. Rappelons que le Nom-du-Père fonctionne par le fait que à la place du désir de la mère, peut apparaître un blanc, signifiant que le sujet  se compte, que l’absence est représentée. C’est cet espace qui permet la métaphorisation dans le sens lacanien. Quand ce W  ressurgit sous une forme anamorphique dans le rêve, sous forme à nouveau visible donc, il barre déjà le chemin du sujet de sa trajectoire vers la Chose. Ce qui  était dans l’image est permuté au champ symbolique amenant avec elle la disjonction des termes: S1 et S2 et une discontinuité entre les signifiants et entre le regard et l’œil. [8]  Le rapport libidinal est ainsi déjà restauré, un peu comme dans une reconstruction dans un délire, sauf que, au lieu de créer un écart avec le narcissisme,  la forme anamorphique surgit là où cet espace existe, et parfois même dans un état de veille. C’est bien ce que semble signifier le trou dans le nez (nose), comme le voile, une sorte de cicatrice anamorphique du trou réel, signe non de psychose, mais de certitude.

 

Nous avons dans cette vignette clinique un bel exemple de ce que Freud a désigné sous le terme du Verneinung, la Dénégation, où apparaît aussi une formulation précieuse des signifiants en rapport avec l’originaire. En effet, d’après ce récit du rêve, où l’homme aux loups voit cette fois-ci un homme qui arrache les ailes d’une Guêpe, la castration est à nouveau mise en jeu.

 

Le premier temps de la dénégation est le temps du Bejahung, ou temps d’attribution. Nous pouvons considérer la lettre W, d’après l’analyse de Freud, comme une sorte de blason anamorphique ou relique de la langue de la Chose. Ce W devient un signifiant sonore mais à l’origine, cette lettre est autre chose. La castration de la mère est ce qui est clairement entrevu ici, cette fois-ci sous forme d’un démenti. Cependant, sans cette Bejahung, ou jugement d’attribution, l’homme aux loups n’aurait même pas fait ce rêve.

 

La castration est ici prise en compte avant d’être expulsée par l’homme aux loups, moment d’un  Ausstossung de ce qui du Moi est perçu comme étranger. Ce deuxième temps de la dénégation, est corrélé d’abord à un moment d’étrangeté chez l’homme aux loups : « Cela s’appelle-t-il Wespe ? J’ai effectivement crû que cela s’appelait Espe ». Ici le sujet s’exprime quelque chose sous une forme de démenti qui semble pourtant proche de sa vérité du sujet. C’est justement là où surgit le doute. Ce démenti se porte sur comment s’appelle l’animal. C’est le pendant à l’intérieur de la structure de la névrose.[9]  Le jugement de condamnation se porte sur la lettre, ainsi que sur la castration. L’homme arrache les ailes, et l’homme aux loups arrache le W, figure des ailes. Ce qui semble être arraché, et non rejeté, est le signifié du désir de la mère, soit le phallus réel.  Le deuxième temps de la dénégation est presque aussitôt corrélé à un troisième temps, le jugement  condamnation scellé par  la substitution par un nouveau signifiant,  S2, ou, en termes freudiens, un Vorstellungsrepräsentanz, un représentant de la représentation. Les  initiales du sujet marquent l’accomplissement du Nom-du-père. Je dis presque aussitôt parce que nous marquons un temps de démenti chez l’homme mais il est trop tard. L’attribution étant déjà acquise par la chute de cette lettre W, le démenti ici n’est plus que l’ombre de la dénégation.

 

Ainsi, le jeu de mots par assonance du rêve, le espe du (W)espe ou le S.P.  de Serguei Pankajeff, semble permettre le repérage des premiers signifiants du moment de la division subjective. La représentation du nom du sujet lui parvient dans une langue d’adoption, langue doublement étrangère, où le phallus est doublement négativé. De même pour sa phobie infantile, ce qui, s‘est érigé en phobie, le loup, semble avoir été construit à partir du corps de la mère avec l’adjonction des éléments bien connu du côté du père (contes du grand-père, position du père dans le coït, etc.), côté de l’Autre langue. C’est par le biais d’une langue étrangère (une libidinalisation qui rend la langue étrangère) que l’effroi devant la castration a trouvé le mot de la dénégation pour l’homme aux loups.

 

Barbara Bonneau

Mai 2004

mise en ligne le 3 juin 2004

http://les-mots-dans-l-oeil.monsite-orange.fr

et présenté le 17 février 2005 au Café Psycho

les rencontres du jeudi soir

Une variante est publiée dans le Bulletin du Café psycho n° 4 sous le titre "Bilinguisme et structure psychique"



 

* Le titre de cet exposé est tire d’un paragraphe développé in BONNEAU, Barbara, Les Mots dans l’œil, jeux de la vérité de l'être spéculaire 2004. Il a son origine in  BONNEAU, Barbara, Les Mots dans l’œil, le discours du schizophrène et l'image de son corps, étiologie dlifférentielle des dysmorphophobies, thèse soutenue en 2001, repris et augmenté, pour l'édition 2004-2005. Ce paragraphe était déposé sur mon site Interent aussitôt. Le premier dépôt légal de mon livre (avec ce paragraphe) Les Mots dans l'oeil, jeux de la vérité de l'être spéculaire, était le 15 Septembre 2004 et le dépôt BNF in Décembre 2005.  Après son dépôt légal (voir copie sur ce site), ce manuscript a circulé chez 18 éditeurs de livres sur la psychanalyse, sans trouver un qui voulait prendre la risque de publier un auteur non universitaire et inconnu au grand public. C'est dire que le manuscrit a été lu et a circulé avant que je l'édite moi-même. Ce paragraphe apparait également in BONNEAU, Barbara, « Le miroir bilingue des structures cliniques », Octobre 2004, accepté pour publication in Recherches en Psychanalyse, Septembre 2005.

 

Note du 15 Mai 2013: Depuis la rédaction de ce texte j'ai pris connaissance du texte passsionant de Serge Leclaire: "Les éléments en jeu dans une psychanalyse; A propos de l'analyse, par Freud de l'Homme aux loups." 

http://cahiers.kingston.ac.uk/pdf/cpa5.1.leclaire.pdf 

 

Le texte de S. Leclaire reprend l'argument d'une suite de ses conférences données en février et mars 1966 à l'Ecole Normale Supérieure. Comme le titre suggère, S. Leclaire s'intéresse aux éléments en jeu dans une psychanalyse: au transfert, aux signifiants, à la scène originaire, à la castration, à la forclusion, aux rêves de transfert, aux jeux de signifiants entre analyste et analysant, à l'argent, bref, presque tous les éléments qui ont inspiré ce paragraphe (ainsi sa suite)) et qui sont, me semble-t-il, les éléments le plus marquant du cas de l'Homme aux loups construit par Freud.  Ils sont traités un peu différement par moi-même mais l'essentiel a déjà été remarqué par S. Leclaire. On pourrait peut-être même voir dans son insistance sur le signe et la "fermeture" "des ailes" (la lettre devenu signe), quelque chose chose comme cette fermeture de l'interval entre S1 et S2.  Dans la suite de mon livre, Les mots dans l’œil, jeux de la vérité de l’être spéculaire, juin 2004, corrigé et réédité en 2011,  j'explore en profondeur certains de ces éléments qui sont déjà ébauchés dans mes travaux antérieurs et notamment dans ma thèse (2001).

 

J'ai pris connaissance du texte de Leclaire parce que j'avais remarqué le similarité du titre d'un texte de Michel Bousseyroux (qui cite le texte de Leclaire) avec  mon propre texte. J'ai également exploité ce thème du voyage dans un autre texte écrit en 2004 mais publié aussi en 2005 dans Recherches en psychanalyse., "Le miroir bilingue des structures cliniques", http://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2005-2-page-69.htm où je fais aussi référence à un  "escale libidinale" et une "invasion de lettres homologuées". Alors que le texte de Michel Bousseyroux exploite davantage le souvenir des voyages réelement entrepris par l'Homme aux loups, et mon texte parle surtout des "mouvements" narcissiques repris par les signifiants bilingues et par le fantasme, ma curiosité m'a comblé. Je me permets ainsi quelques rémarques critiques.  

 

Par ailleurs, alors que je viens de rediger la suite, j'ai acheté Entretiens avec l'Homme aux loups, une psychanalyse et ses suites, Gallimard, Paris, 1980, de la journaliste, Karin Obholzer, préfacé par Michel Schneider. Cet ouvrage est cité par Michel Bousseyroux également. 

 

Bien que Michel Bousseyroux soutient un des arguments en faveur de la psychose pour ce sujet, il s'appuie largement sur les analyses précédantes de l'holophrase et la dysmorphophobie, dans son article paru  in « De la fêlure aux gouffres »,Wunsch 2, Bulletin International des Forums du Champ Lacanien, N°2, Juin 2005,  (notes de séminaire à Toulouse de  l’année scolaire 2004-2005) et  Le Mensuel, N°28, « L’identitié,  le passeporte du fantasme », Novembre 2007, Paris, EPFCL. Après avoir considéré le rêve de la guèpe (W)espe du côté symbolique comme l'holophrase du sujet responsable de la fermeture de l'intervalle S1-S2, et le voile comme lettre du corps, comme j'ai postulé  (2003 et avant) aussi et peut-être déjà S. Leclaire, M. Bousseyroux saisit la question également du côté imaginaire. C'est  à partir du mathème ultérieure du fantasme ($ poinçon a, où un bouchon du  fantamse est matérialisé, en quelque sort, par le poinçon qui est "bouché" par le "fantamse"). Rappelons que le formule de Lacan insiste surtout sur la position du sujet vis à vis de l'objet a.

 

Pour Michel Bousseyroux un élément du corps  est particulièrement impliqué chez ce sujet : le nez. Il trouve la preuve de cette implication, non seulement à partir du texte de Torok et Abraham, mais aussi dans l'anagramme fourni par l'Homme aux loups dans une lettre à Karin Obholzer. M. Bousseyroux appele aussi ce mot inversé,  une holophrase (Esanetor-Rotenaze (nez rouge)). A partir de là,  M. Bousseyroux développe ce qui pourrait être une expression Borréméan ultérieure de la nomination du réel de l'inceste (entre le père et la soeur de S.P. (l'Homme aux loups) et également entre S. P. et sa soeur ) par le fantasme. Alors que je développe dans ma thèse de 2001 (à partir des travaux de Marie-Claude Lambotte) le concept d'un démenti dans la névrose narcissique, en prennant le voile de l'Homme aux loups pour exemple, et en 2004, le brillant sur le nez comme rapport au savoir, "écran" avec l'analyste, M. Bousseyroux considère ce qui serait, selon lui, un autre exemple d'un démenti fantasmatique de la castration : (Esanetor, nom secret échangé avec sa soeur).  Il  met en valeur cette nomination par le fantasme du côté Borréméan, s'agissant du nom fourni par la soeur ou par la nomination par lui-même via Freud : le Wolfmann.  M. Bousseyroux conclu que le "fantasme" de cette nature pourrait être un traitment possible pour la psychose.

 

J'ai plusieurs remarques par rapport à cet article de M. Bousseyroux, mais, je vais me limiter  à quelques unes. D'abord, l'expression Esanetor; est-ce que l'on peut seulement  le considérer comme une holophrase? Est-ce qu'il ne faut pas se poser la question à savoir si cette expression est inconscient?  Est-ce qu'il n'est pas seulement un mot retourné, exactement  comme dans le verlan français? Une lecture en diagonale du texte de Michel Schneider situe cette inversion de lettres plutôt comme jeu d'enfants. Michel Bousseyroux prétend démontrer le jeu fantasmatique sousjacent.

 

Cependant, l'holophrase, telle que Lacan la décrit, n'est-elle pas à chercher du côté des "premiers" signifiants du sujet dont ceux qui s'articules avec l'objet a? Est-ce que M. Bousseyroux ne force pas le trait en saisaisant ce qui est du "brillant sur le nez" freudien, le reduisant au nez lui-même puis le nez, à l'objeta? Le nez dans l'article freudien est un équivalent du penis, et non l'objet a lacanian (voir mon texte Les mots dans l'oeil, juin 2004).  Je vais aussi poser une autre question, encore plus épineuse. Est-ce que Esanetor est seulement un mot "inconscient" de Serguei Pankejeff, susceptible à provoqué un fantasme ? Michel Bousseyroux situe ce jeu des mots entre soeur et frère sur l'axe spéculaire a-a' pour parler de l'espace spéculaire de leur séduction incestueux. Or il y a question dans ce jeu de deux d'une structure entre deux sujets et non de l'imaginaire de l'un entre eux.  Autrement dit, est-ce que ce mot Esanetor a seulement la valeur d'un mot "magique" que donne Abraham et Torok, supposant qu'il contient "le sens caché" de l'aventure entier avec Freud" ("This word game probably contains the entire meaning of the venture with Freud" (see Postface de l'édition anglaise "What is occult dans l'occultism, between Sigmund Freud et Serguei Pankeiev " 1986 p.88 repris par Google: http://books.google.fr/books?id=fBMuEeV9ZIC&pg=PA88&lpg=PA88&dq=Esanetor&source=bl&ots=0PVTDeVNXr&sig=VD6xXeSb1NYgfpoZfb-mDR45upA&hl=fr&sa=X&ei=ndyZUewNKqT0AXo5YFA&ved=0CDgQ6AEwAQ#v=onepage&q=Esanetor&f=false) ? 

 

Nous ne savons rien ! Dans l'échange entre l'Homme aux loups et sa soeur, selon Freud c'est elle qui taquine plutôt son frère, comme dans d'autres occasions, par des références à son nez à lui ! Et même lorsque c'est elle qui pose la question Esanetor?,  rapportée par Maria Torok, cité ci-dessus, ne vient-elle pas cette expression, toujours de la soeur?   "Mot de passe" maître ou non pour les jeux de S.P. et sa soeur;  le place du sujet glisse ici sous le nom de la soeur ! Est-ce qu'on peut parler de fantasme ou de nomination du côté du sujet à partir de ce signifiant qui se situe plutôt sur la coté de la soeur? Nous pouvons effectivement s'inquiéter de l'inflation de la valeur de ce terme venant de la soeur pour l'analyse d'un prétendu "nom" du sujet. Bien que nous pouvons saisir des traits fantasmatiques et des signifiants commons aux deux sujets, le trésor des signifiants n'est pas autre chose que ce partage. Alors si un emprunt des signifiants peut signifier "une copie", (comme les enfants qui copient l'un pour se moquer de l'autre) ce partage ne signe d'aucune façon une "spécularité" psychotique entre deux sujets !  

 

Dans mon propre texte de 2004 où je parle en détail du nez de l'Homme aux loups ainsi de la relation du transfert qui se construit à partir du savoir "en miroir" avec le psychanalyste, je ne prends pas en compte ce signifiant Esanetor pour les raisons citées ci-dessus. Déjà lorsque Maria Torok en parle, il n'est pas claire ce qu'elle signifie par "sens" de la venture avec Freud. Dans le texte Cryptomanie, Le Verbier de l'Homme aux loups, il y a question de Freud et la vérité qu'il semble vouloir arracher.  Or, elle ne dit pas plus sur ce sujet mais insiste sur un "sens caché" ou mot inconscient, plutôt que sur le transfert.  Peut-être j'aurais dû en parler de ce jeu entre frère et soeur pour compléter mon analyse et écarter toute confusion. Néanmoins, la place qui prend le "nez" pour réfléchir au savoir ("knows" d'après l'analyse d'Abraham et Torok)  des analystes empêtrés dans le Discours de la Science (Discours du capitaliste)  est amplement illustrée dans mon livre ! J'ajoute ces mots de Gogol "... ma négligence, ma précipitation, mon manque d’expérience m’ont fait commettre tant d’erreurs, de bévues, que l’on trouve à chaque page quelque correction à apporter."  

 

Je pourrais ajouter que selon un article il n'est guère d'usage en Russie de s'adresser à quelqu'un par son prénom, mais plutôt par un diminutif. De plus, il y a des variations dans les patronymes qui sont d'usage. Cette pratique se confirme par la lecture des oeuvres Russes où il n'est pas rare de trouver 5 noms pour une seule personne! De même "Un certain nombre de noms russes tels qu'Ivanov ou Petrov ont une origine patronymique mais ne sont pas des patronymes ; il s'agit de noms de famille qui, comme dans les langues scandinaves, se sont formés à partir de patronymes. Il est ainsi possible pour un Russe de s'appeler Ivan Ivanovitch IvanovIvan étant le prénom, Ivanovitch le patronyme (fils d'Ivan) et Ivanov le nom de famille (formé dans le passé d'après un patronyme). Ainsi la présentation de S.P. comme Serguei Petrov est correct pour se nommer en Europe par son nom de famille http://fr.wikipedia.org/wiki/Nom_de_personne_en_russe

 

De même, lors d'une expatriation, choisir un nom qui permet la personne de s'intégrer avec les habitants est aussi un usage répandu dans les pays européens. Qu'en est-il par la présentation de lui-même comme : Wolfmann?  Est-ce que la satisfaction que S.P. éprouve à l'encontre de cette nomination par les psychanalystes n'est pas à mettre sur le compte de cette pratique d'usage de diminutifs et un multiplicité des noms ? Ces questions sont aussi à se poser avant de conclure à la psychose. Rappelons que si Lacan dit que le névrosé est un "Sans-Nom", prendre plusieurs noms revient à dire que l'on est sans nom propre ! Est-ce que Serguei Pankejeff tente de "se faire un nom" en se présentant sous le nom de "Wolfmann", comme prétend M. Bousseyroux? Ou est-ce que le sujet ne s'efface pas plutôt, pour se faire réprésenter au nom de la psychanalyse?  (S.P. barré)l'Homme aux loups? 

 

 

[1] FREUD, S., « Le fétichisme », NPP, 1927, p. 133.

[2] Mack Brunswick, Ruth, « Supplément à l’Extrait de l’histoire d’une Névrose infantile » de Freud » 1928, in L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, texte présenté par M. Gardiner, Paris, Gallimard, 1981, p. 273-274. L’homme aux loups a toujours été plus ou moins préoccupé par son nez. De ses souvenirs infantiles, aux traitements pour des problèmes différents, aux taches sur les nez …Une chose singulière était une verrue sur le nez de sa mère qui apparaissait et disparaissait. A l’époque de l‘arrivée de sa mère de Russie, il se trouvait lui-même des points noirs, et un bouton au milieu de son propre nez, dans une identification avec sa mère, semblable à celle des troubles abdominaux évoqués au début de son analyse avec Freud.

[3] Cette notion de presque est délicate. En effet, il est difficile d’apprécier quelle place accorder à une deuxième langue entendue par un enfant depuis sa naissance. Il nous semble que la langue de la mère a une place unique, se confondant avec son corps si l’on en croit le schizophrène Wolfson quand il dit : « la langue m’a frappé dans les yeux. »  Rappelons que pour Wolfson la langue maternelle était tellement pénible qu’il en ressentait les effets comme des douleurs dans son corps. Il s’exprime dans une Autre langue en transformant les signifiant des mots anglais par une forme d’association par assonance, libidinalisant ainsi la langue.

[4] Je veux parler de la partie anatomique désignée par le mot anglais nose, dont j’ignore l’équivalent écrit en Russe. Notons cependant qu’il y une  ressemblance phonétique entre les mots anglais et russe pour ce terme.  TOROK, Maria et ABRAHAM, Nicolas dans Le verbier de l'Homme aux Loups (1978) ont développé une thèse autour du bilinguisme chez l'Homme aux loups qui aboutie à des conclusions différentes. Aubier-Flammarion, 1976,pp.252. Voir argument dans Les mots dans l'oeil, 2004.

[5] Rappelons que la sœur de l’homme aux loups avait un «développement intellectuel brillant », se moquant de ses prétendants ainsi  que de son frère.

[6] Encore une interprétation : Avoir du nez, en français signifie avoir une intuition par rapport à quelque chose. La même chose est vraie en anglais. 

[7] BONNEAU, Barbara, “L’holophrase: repère de diagnostic ?”, Décembre 2003 in Revue de Psychanalyse du Champ Lacanien, Tout n’est pas Langage, Paris, Forums du Champ Lacanien, Ecole de Psychanalyse du Champ Lacanien, Mars 2004

[8]  BONNEAU, Barbara, « The eye (I) of the horse, A schizophrenic’s invention », 2003, in Analysis, n°12, The Australian Center for Psycho-analysis, Trobe University Press, sur internet depuis le 3 juin 2004 .

[9] WOLF, Mareike, « La référence à la fonction de négation dans la clinique psychopathologique, considérations psychanalytiques » in Revue Internationale de psychopathologie », Paris, P. U. F., N° 7, 1992, p.435-455.