Image préspeculaire et Suppléance : rapport de la parole à l'image dans la psychose schizophrénique

 

Image préspeculaire et Suppléance : rapport de la parole à l’image dans la psychose schizophrénique


 Barbara Bonneau

 

Les phénomènes qui accompagnent la perturbation du contenu de la pensée, chez le schizophrène, en particulier ceux qu’on voit  souvent dans les ouvrages de psychiatrie, à savoir les perturbations du sentiment de soi, désignent un complexe symptomatique précis qui troublerait le fonctionnement de la pensée du malade.   L’expérience de dissociation n’indique  pas  la présence d’un trouble primaire comme les tentatives ultérieures de reconstruction du sujet pourraient en témoigner mais renvoie bien plutôt à une sorte d’expérience où le sujet ne se distingue pas lui-même de  l’image de l’objet à l’étape de la constitution de celui-ci.

 

La psychanalyse apporte des éléments précieux quant à la notion de motivations de l’ego,[1] par rapport  à la notion de la motivation associative. La dissociation schizophrène apparaît de ce point de vue non pas comme un trouble de perception[2] / [3]qui engendrerait une suite de symptômes dissociatifs mais comme une confusion entre la perception et la trace laissée par celle-ci. 

 

Au stade préspeculaire, l’identification de l’être est impossible en dehors de cette expérience spécifique où la trace et la perception se confondent.  Il y a, en effet, dès la naissance, une prise en charge du corps par un code, à partir du langage. L’Autre investit le corps du petit sujet, l’érotisant en le couvrant du signifiant[4] .  C’est à partir de cet investissement du corps du sujet par l’Autre que l’être, schizophrène ou non, constitue également son image.

 

Selon Freud la relation, établie entre l’image mnésique et la trace, par l’expérience de la première satisfaction suffise pour déclencher une impulsion, (Regung). Chaque fois que le besoin « se ré-presentera », cette impulsion investira à nouveau l’image mnésique de cette perception dans la mémoire et reconstituera la perception elle-même.[5] Bien que Freud  ne décrive  pas la constitution de l’image du petit être à travers cette expérience dont il cerne le mouvement du désir, il lie suffisamment ces éléments dans les chapitres précédents et par la suite qu’il nous semble évident que l’image de soi  préspecualire se constitue par la même occasion.   Il y a donc au moins une double incidence  de cet investissement de l’Autre préalable à la constitution  de l’ego.  Dans la constitution de la trace, empreinte nécessairement codifiée, l’image de soi se tisse en même temps que l’objet. [6]/[7]

 

Le corps morcelé, dont  la dysmorphophobie nous fournit un exemple dans le champ de la perception visuelle, est  un  retour à ce temps logique préspeculaire.[8]

 

La dysmorphophobie, l’horreur d’un sujet devant sa propre image s’observe non pas à partir de ce qu’elle donne à voir à un tiers mais à partir de ce qu’elle donne à entendre. La façon dont les sujets schizophrènes utilisent le langage pour réduire l’angoisse associée à la jouissance dysmorphophobique,  nous a amenés à réfléchir sur la notion de corps imaginaire et de ses avatars.

 

Nous proposons d’étudier ces perturbations à partir d’une observation clinique[9] d’une dysmorphophobie chez un jeune homme schizophrène en prenant en compte des phénomènes perceptifs et langagiers.

 

Résumons  une partie de ce cas  pour  le développement de notre thèse. 

 

Quand nous avons écouté ce sujet parler de sa maladie, nous nous sommes aperçus qu'il a ressenti un changement qui l'a laissé très perplexe. Il disait:  "j'ai mûri en prison," exprimant par là sa perception de ce processus de transformation.    En effet, c'est derrière ces "murs" qu'il va subir une métamorphose, une sorte d’inscription  d’image sur le corps.

 

Il disait qu'en prison il s'est mis "dans une formidable colère, et ça[10] s'est inscrit" sur son visage, et c'est "alors qu'il a eu la métamorphose."  En fait, selon lui il aurait eu "trois métamorphoses", la dernière étant responsable de son état actuel.

 

Pendant la période féconde du délire et dans sa reconstruction après-coup, il aurait entendu une voix qui lui disait : "Tu es une vache à lait."  Il pensait que cela voulait dire qu'il était "un être irréel", un être spécial, que tout le monde allait le regarder en disant, "il est né d'une vache à lait, il est un être irréel."

 

 Ne semblant pas adhérer au sens commun de cette expression, c'est-à-dire comme figure de la fortune ou même dans un sens plus péjoratif d'être un naïf qu'on peut traire, notre sujet s'imaginait transformé, que son visage a pris l'aspect "d'une vache à lait" et plus tard,  d'un "cheval" et qu'il était désormais "un dieu".  Comme "être exceptionnel" il pensait qu'il "contrôlerait tout le monde".  Il disait avoir un "mage" qui lui aurait donné une "doctrine".

 

Il disait qu'il a beaucoup réfléchi et que finalement il avait décidé qu'il "n'était rien du tout".  Par ailleurs il tient pour responsable de sa dernière métamorphose, la "salope", en l’occurrence la prostituée, qui lui aurait donné la "petite vérole".  En effet selon lui, son visage serait marqué par cette expérience sexuelle.  A vouloir "faire l'homme", notre sujet se trouve transformé en "déchet".

 

Il disait : "Vous voulez que je sois la frite, je vous l'ai entendu dire,  Maryse[11] aussi veut que je sois la frite, bagarreur quoi, c'est pour ça que je ne sais plus où j'en suis; je ne sais pas si je veux devenir social avec la famille, la pêche ou marginal, en redevenant la frite."

 

"J'ai lâché ma frite dans les bordels parce que je ne me connaissais pas.  Je me suis trouvé moins beau parce que je me retrouvais des trous sur la gueule, comme maintenant".

 

Le mécanisme par lequel procèdent ces "métamorphoses" semble aller au-delà d'une hallucination, auditive puis visuelle. Ou devons-nous dire que le processus hallucinatoire est bien plus complexe qu'une simple illusion qui se trouve objectivée dans l'espace, tout différent d'une pure perception sans objet, comme décrit Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception. Nous remarquons comment le contenu des hallucinations auditives est reflété par le processus d’hallucination visuelle.

 

Freud, et Lacan après lui, ont remarqué comment le processus hallucinatoire est intimement lié à la relation à l'Autre, et à la parole de l'Autre, ainsi qu'au langage.[12] En effet, la présence de l’Autre dans cette expérience est indiquée par l’hallucination.    Celle-ci n’est pas seulement la présentification d’un besoin. La connotation de la réalité est donnée par la dimension de la signification au point où le sujet désire.  Le sujet hallucine, d’après ces auteurs, ce qui lui est interdit.  L’objet interdit, absent, auparavant investit aussi peu qu’il soit par l’Autre du langage, apparaît sous forme de spectre. Ainsi, l’identité de perception de l’image, trompe le sujet.[13]/[14]/[15] L’hallucination nous indique que chez l’être humain, le plan imaginaire est déterminé par le champ symbolique, au point où le sujet désirant était investi par le langage de l’Autre. [16] De ce point de vue l’expérience qui donne un texte continûment lisible  [17] est déjà une expérience empêtrée de langage avec la discontinuité que comporte le champ symbolique et de ce fait, déjà un rapport intersubjectif. [18]/[19]

 

Examinons de près quelques-unes uns des hallucinations auditives de notre sujet. Dans les  différents énoncés, la répétition de phonèmes semble aller de pair avec le vécu proprioceptif de notre malade. Nous  vous rappelons ici le contenu :  « tu es une vache à lait  », «tu es un cheval », «tu es un chiale ».

 

Comparons les  hallucinations de notre sujet  en tenant compte du néologisme et l’existence d’un phénomène singulier chez ce sujet.[20]  Une partie de la même succession de vocables se retrouve dans les hallucinations auditives et le néologisme y prennent sans doute sa source : "Tu es un chiale".

 

Toute ces constructions comportent les mêmes éléments  homophonique :  tu, é, va, a, lé, chi.  Ces éléments phonétiques et leur intimité avec le vécu du malade nous font penser qu’il devait y avoir des automatismes de la pensée chez ce sujet, correspondant à celui que nous avons reconstruit :  tu vas chier, aller.[21]  A quoi le sujet ne peut que répondre par la même homophonie ou en acte : « Chialer » («je suis allé »). 

 

Dans la localisation des séquences parlées chez  ce sujet, les séries trouvées qui font penser à une  holophrase.[22]/[23] * L’holophrase  en question ne se résume pas à l’homophonie approximative de ces deux séquences. Cependant, elle se fait plus aisément  entendre sous cette forme.  La répétition des deux  séquences :  « Je suis allé »,  «chialer », à haute voix fait ressortir les incidences de l’holophrase en question, et peut-être les incidences subjectives de toute holophrase.

 

Elles  contiennent, nous semble-t-il le noyau de l’explication du fonctionnement schizophrène et des éléments précieux pour une forme de «guérison »  possible.   Dans ces holophrases, il y a une sorte de confusion entre les motivations de l’ego et les motivations associatives : le moi et le non-moi, la perception et la trace. Le «je suis » et le --- Sit venia verbo  --- « chi » se trouve, chez notre sujet, conjoints comme le code et le message que la séquence comporte.

 

Le texte continûment lisible de l’expérience n’est pas pour autant rompu mais localisé en certains points de l’énoncé.  Il  forme une sorte de continuum dont les prélèvements ne sont traduits qu’en fonction d’une certaine homogénéité de l’être et de continuité (ou à défaut, de contiguïté) entre le souvenir et la trace. La référence au «texte » garde toute sa pertinence puisque les  traces, des souvenirs,  sont ainsi conservées sous une forme verbale.[24]

 

La notion d’un texte continûment lisible de l’expérience ne se réfère donc pas en psychanalyse à un continuum entre l’imaginaire et le symbolique, nécessairement discontinu selon Lacan.  Elle est l’indication d’un point d’où le sujet désirant se faufile sous forme de langage. 

 

Lacan distingue des phénomènes de message et de code dans l’hallucination auditive. Comme pour Schreber, chez notre  sujet , le code est constitué de messages sur le code, et le message est réduit à ce qui dans le code indique le message. Ainsi  la synchronie aussi bien que la diachronie de la phrase est perturbée. Nous y reviendrons.

 

La définition que Lacan donne pour l’holophrase  est un peu à l’écart de celle des linguistes. Au lieu d’insister sur la notion de langage à l’origine, Lacan insiste sur le fait que ces  mots-phrases, déjà pris dans la structure de langage, sont non décomposables. « Holophrase : Il y a des phrases, des expressions qui ne sont pas décomposables, et qui se rapportent à une situation prise dans son ensemble, ce sont les holophrases. »[25]

 

La fonction de l’holophrase «participe à une fonction de l’unité de la phrase » [26], selon Lacan et d’après certains  linguistes, dans la mesure où le code et le message  se trouvent confondus. Il  articule cette fonction avec celle de l’énoncé pour disjoindre la notion du besoin avec les  termes de la demande.  L’énoncé holophrastique n’est pas réductible  à sa fonction, selon Lacan,  parce qu’il est pris sur le discours du sujet.[27]

 

Rappelons tout d’abord, que l’aphorisme lacanien, «l’inconscient est structuré comme un langage » s’appuie sur la théorie du linguiste Ferdinand de Saussure. [28]  Lacan emploie les définitions de Saussure, du signe et du signifiant,  pour développer sa théorisation sur le fonctionnement de l’inconscient. [29]/ [30]

 

Saussure dit explicitement «cette conception (celle de la langue comme nomenclature) laisse supposer que le lien qui unit un nom à une chose est une opération toute simple, ce qui est loin d’être vrai. » [31] Le terme opération fait référence au processus langagier par lequel le référent (la chose) est pris en charge par le signe.  Cette opération relève de la parole, linguistique de l’énonciation et non de la langue  (le langage moins la parole).

 

Lacan développe ces notions pour en faire ressortir leurs incidences sur l’inconscient et pour développer le cogito freudien.  De la division entre l’énoncé et l’énonciation, il retient que le repérage subjectif en découle du fait que le «je» de l’énoncé est déterminé rétroactivement grâce à la présence de l’Autre qui l’entend dans sa signification véritable, sous une forme inversée.  Le «je » devient signification engendrée au niveau de l’énoncé, de ce qu’il produit au niveau de l’énonciation.  Le sujet se constitue,  «extrait d’une opposition à l’étendue --- statut fragile, mais suffisant dans l’ordre de la constitution signifiante. » Et il souligne : « Tout ce qui anime, ce dont parle toute énonciation, c’est du désir ». [32]

 

Dans l’holophrase,  la signification vacille. Le sujet entend son propre message sous une forme non inversé.  Et de ce point où le sujet désire, où il tente d’arrimer ses perceptions  sur leur souvenir, peut se produire une hallucination. Le signifiant surgit dans le Réel.

 

 Une Holophrase se produit, d’après Lacan[33], quand il y a une absence d’intervalle entre S1 et S2. C’est cette absence d’intervalle qui permettrait au signifiant de se désigner lui-même.

 

Un signifiant étant ce qui représente un sujet pour un autre signifiant, le premier signifiant, S1, est celui du trait

 

unaire. C’est celui qui incarne, dans le sens de l’incarnation du sujet. [34]

 

Cette notion d’incarnation permet d’envisager  le nouage des champs : Réel, Imaginaire  et Symbolique . Or pour comprendre les effets d’une holophrase, il nous semble important de cerner la notion de  l’objet réel en le distinguant bien de l’image et du signifiant. 

 

Lacan développe la notion de l’objet a dans son enseignement  à partir du concept de structure du sujet. Pour simplifier, ici, l’objet a est cet élément dont le sujet se trouve  écorné, le non-sens où le non lust, par l’opération instituant de l’Autre.  Cet objet  se retrouve comme sein, fèces, regarde, voix, rien… , objet de jouissance. C’est le trait unaire de l’idéal du moi, voire ce qui unit le sujet  à l’Autre, désormais perdu. Ce n’est pas à confondre avec l’Autre qui est un être, reconnu ou non, par le sujet. C’est plutôt une entité à supporter par le sujet et par l’Autre. [35]

 

Pour Lacan, en tant que «trait unaire », l’objet a n’est  pas à situer comme objet réel mais comme signifiant. L’objet a est réel pour  autant qu’il soit détachable mais non encore détaché. Dans ce sens il appartient à un temps logique, préspeculaire, où l’objet se retrouve comme faisant partie du sujet., comme bobine ou comme vocable dans le célèbre jeu , Fort-Da [36] mais avant sa prise en charge complète sur le plan symbolique par l’intervention du terme du manque ou d’absence.

 

Pour comprendre pleinement les effets de l’articulation de cet objet réel avec le signifiant, nous continuerons le déploiement d’un temps logique préspeculaire. Cet objet réel devient  à un moment donné l’objet a, perdu à jamais.  Cependant, nous pouvons penser qu’à ce stade la conjonction des termes réel, symbolique et imaginaire auront des conséquences particulières.   

 

En effet, la considération de cet objet, d’après Lacan, du point de vue du  premier signifiant, S-1,  ou comme trait unaire,  permet d’envisager ce que pourrait être ses effets sur le sujet, schizophrène ou non, dans le fait que ce trait s’inscrit   comme quelque chose qui marque le sujet, un «tatouage » selon Lacan, c’est-à-dire comme un signe inscrit dans la chair.  En tant que signe ce trait ou cet objet a est un signifiant et comme tel participe au champ symbolique. Tandis qu’en tant qu’impossible du corps, il est ce qu’il y a  de plus réel.  L’articulation de ces deux plans permets le surgissement du plan imaginaire.

 

Dans sa considération de la mélancolie[37], Freud parle d’une « substitution de l’identification au choix d’objet » comme étant une « érection de l’objet dans le moi ».  Dans une formulation ultérieure[38], il envisage cette substitution comme étant une partie importante dans la formation du moi. Bien que Freud parle en termes d’incorporation, il est clair que l’objet en question n’est pas réel. L’incorporation sur le mode totémique fait référence à l’acquisition  des qualités sur un mode identificatoire, c’est-à-dire avant tout sur un mode imaginaire mais à partir du signifiant et du réel.  Le « choix d’objet » concerne en effet ce « trait unaire » de Lacan.

 

 Ce mode d’identification, primaire, à la différence du mode spéculaire, procède  par l’investissement de l’objet en tant que signifiant qui lie le sujet en tant que besoin. [39]

 

Le signifiant S2, qui est aussi le Vorstellungsrepräsentanz, le représentant de la représentation est  la représentation des processus primaires. C’est par son biais que le mouvement régressif vers la satisfaction hallucinatoire peut avoir lieu. C’est aussi celui auprès duquel le sujet est représenté et qui fait entrer en jeu le sujet comme manque.  C’est le terme d’absence dans le jeu de disparition-retour sans lequel le terme de présence sera inopérant.

 

Dans la solidification du premier  couple signifiant S1-S2,  l’holophrase donc, le sujet n’apparaît plus comme manque.  Il ne s’agit pas d’une substitution à l’objet ni d’une condensation.  Il n’y a pas d’intervalle entre les deux signifiants. Ce qui revient à dire que le sujet se désigne lui-même. L’opération de prise en charge du référent par le signe (situé du coté de l’énonciation) désigne le sujet en S2 comme s’il n’était que le reflet de ce qui a été désigné en S1.

 

Freud donne un exemple de ce type dans la  communication du rêve de sa fille (dix-neuf mois à l’époque) par le biais de ses paroles prononcées au cours du rêve suivit d’un jour de jeûne: « Anna F.eud, f.aises (erdbeere, le forme enfantine de prononcer fraises, Horhbeer (qui veut également dire fraises), flan, bouillie ! » .  Selon Freud « Elle employait alors son nom pour exprimer la prise de possession. Son menu comprenait apparemment tout ce qui lui avait paru désirable. Le fait qu’elle y ait mis des fraises sous deux  formes était une manifestation contre la police sanitaire domestique ; elle avait remarqué, en effet, que la bonne avait mis son indisposition sur le compte d’une grande assiettée de fraises ; elle prenait en rêve sa revanche de cette appréciation inopportune. »

 

Dans ce rêve qui illustre, selon Freud, l’accomplissement du désir par le rêve, Lacan y voit une holophrase.[40] Freud relève, deux paragraphes plus loin : « Je ne sais pas de quoi rêvent les animaux. Un proverbe que m’a appris un de mes auditeurs croit le savoir. Il dit : « De quoi rêve l’oie ? De maïs ».  Et il ajoute en note d’autres proverbes : « Le cochon rêve de glands, l’oie de maïs », »De quoi rêve la poule ? De millet » Ainsi Freud résume :« Toute la théorie du rêve accomplissement de désir tient dans ces mots. »[41] Il souligne avec cette note  l’écart du désir, où le sujet se nomme, et du besoin, où l’objet se réduit à quelque chose d’instinctuel. 

 

Et de Lacan d’en déduire de cette formation inconsciente que le sujet dans cette instance hallucinatoire existe en tant que monolithe. L’holophrase – c’est le sujet. « C’est de cela qu’il s’agit, c’est l’articulation de la phrase, c’est le sujet en tant que ce besoin, qui sans doute doit passer par les défilés du signifiant en tant que besoin, est exprimé de façon déformée, mais du moins monolithique, […] le monolithe dont il s’agit, c’est le sujet lui-même, à ce niveau qui le constitue. » [42]

 

Le besoin, l’objet interdit qui devient l’objet de l’hallucination ou l’objet rêvé, se distingue de l’objet instinctuel. Nous l’avons signalé, à partir de Freud et Lacan, par ce repérage signifiant qui indique la présence de l’Autre.  L’objet articulé ici dans l’holophrase, l’image de l’objet, que nous pouvons envisager par ailleurs comme objet a avec ces limites, se confond avec sa perception, son articulation, avec son émetteur --- le sujet. Le sujet a ce niveau n’a pas à se compter. Il en reste marqué «comme tatouage »[43] par l’énoncé, qui n’émet pas d’autre signification.    Le mot et la chose  se confondent.

 

 Ce qui est ressenti par le sujet schizophrène de notre observation comme «une métamorphose » (3), comme une expérience de dissociation et de transformation corporelle,  se rapporte à ce stade où les plus petites bribes de langue sont articulées dans un rapport qui semble être de contiguïté avec le corps, comme «un désordre de petits a ».(16) Une forme d’association peut se mettre en place, une métonymie du corps, où signes et objets se confondent, et participer à un véritable discours sur le sujet qui ordonne, d’une certaine façon, le désordre de petits a.

 

Ce  niveau de l’expérience proprioceptive est ordonné d’une certaine façon par la formation d’une holophrase.  Or cette holophrase participe toujours dans un rapport de contiguïté avec le corps.  Cependant, le prélèvement fait sur le corps, ne pourrait être que symbolique pour autant que le corps soit déjà pris dans un système de langage. Néanmoins, pour le sujet, le signifiant à ce niveau apparaît dans toute sa matérialité comme quelque chose de Réel.

 

Tous les éléments qui déterminent toutes les transformations allant de la métamorphose  jusqu’à la dysmorphophobie [44], se retrouvent pour  organiser une forme de compensation imaginaire chez ce sujet.  Ainsi, en dehors de l’expérience du stade du miroir qui neutralisera l’expérience du corps morcelé, il semble que le sujet peut construire des formes de compensation imaginaire où la reconstruction du sujet à partir de l’énoncé donnera une signification, même momentanée,  autre que  lui-même. La différence dans l’expérience schizophrène et l’expérience du petit sujet au stade du miroir se produit à partir de la formation de l’holophrase  qui se rapporte à cette confusion entre lui-même et l’image de l’objet. 

 

Le sujet sous l’effet de cet engluement imaginaire, se voit  dans le miroir comme un objet réel. Rappelons que chez notre sujet,  au fur et à mesure que le délire s’estompe, la dysmorphophobie proprement dite se met en place. Pendant environ 13 ans la seule chose qui permet à ce sujet d’éloigner la jouissance angoissant associé à l’idée d’avoir un visage atroce est la défécation. [45]

 

Pour ne pas perdre de perspective et confondre la fonction de l’objet réel avec celui du signifiant ou en réduire la portée du signifiant à celui de l’objet, rappelons également  ici quelques  parallèles avec l’Homme  aux Loups.[46] L’Homme aux Loups était bien portant jusqu'au jour où il contracte une blennorragie.  Par la suite se développe un symptôme  bien curieux. L’Homme aux Loups voit le monde à travers un voile, un voile qui disparaît quand il défèque. Il  passe une certaine partie de son temps à se faire faire des lavements pour évacuer  régulièrement ses selles.

 

 Freud lui fera associer sur ce voile pour en faire sortir quelque chose qui paraît comme un  S1. La notion de don et d’argent qu’il amènera dans cette étude ne laisse pas de doute de la valeur symbolique prise par cet objet.[47] Plus tard, l’Homme au Loup  ira en analyse chez Ruth MacBrunswick pour un symptôme dit «hypochondriaque »[48], déclenché probablement par la mise en série de cet objet avec l’argent donné par les psychanalystes par l’intermédiaire de Freud. Le symptôme en question  concerne un trou que l’Homme aux Loups croit voir sur son nez. 

 

Comme auparavant il passait son temps aux toilettes, là,  «sa vie  était concentrée dans le petit miroir qu’il portait dans sa poche et son sort dépendait de ce que celui-ci lui révélait ou de ce qu’il allait lui découvrir. »[49]

 

Après la période féconde du délire, l’extraction de l’objet a, porteur de jouissance, était le seul moyen que notre sujet, comme l’Homme aux Loups,  avait  pour venir à bout de sa dysmorphophobie. La baisse de l’angoisse dont témoignent ces sujets semble indiquer qu’il y a une certaine mise en série signifiant des objets corporels avant une séparation momentanée ou prise de distance avec ceux-ci. [50] Il semblerait que d’autres pratiques corporelles chez des malades schizophrènes auraient la même portée.

 

 En effet, comme pour le jeu Fort-Da, la séparation momentanée avec l’objet associé à un signifiant est structurante même avant le constat d’absence que le jeu entraîne. Nous pourrions imaginer que la signification des éléments mise en jeu par l’enfant dans ce jeu sera identique ou tout au moins semblables à ceux qui sont en cause dans la formation de l’holophrase. 

 

C’est effectivement en tant que l’objet a est associé aux signifiants de l’holophrase que nous voudrions souligner les effets. La mise en série des signifiants des objets  avec leur inscription corporelle ne suffira jamais à éloigner suffisamment la jouissance pour éviter les phénomènes dysmorphophobiques ou hypocondriaques complètement. C’est  un peu comme le «je » de l’énoncé, la formulation holophrastique fonction à ce niveau comme un shifter.[51]

 

Cette mise en série métonymique peut permettre une forme de compensation imaginaire. Elle semble permettre à ces sujets de se faire un corps  un peu comme Joyce peut «se faire un nom. »[52]  C’est par la biais de ce boulon imaginaire, S1-S2, l’holophrase,  que le sujet peut mettre en série les éléments du corps avec les éléments de la langue.

 

Cependant, les pratiques corporelles, comme pour  la formation des chaînes signifiantes, semblent constituantes dans la mesure où du point de vue du sujet il s’en sépare ou s’en éloigne  de l’objet a et  il s’évanouit  dans une forme d’énonciation où la signification est prise rétroactivement sur l’énoncé. Nous avons  vu que ce n’est que dans l’énonciation où il y a une constitution signifiante.  Comme le «je » de l’énoncé, l’holophrase en elle-même n’est qu’un lieu tenant.  Elle indique l’endroit  où le désir du sujet est lié à l’Autre, ici non comme manque mais comme hallucination.

 

La suppléance que Lacan a nommé Sinthome chez Joyce se forme à partir de ce qui s’échappe de la jouissance du  langage. Le Sinthome noue quelque chose du savoir inconscient pour pallier  l’absence de métaphore paternelle, ici forclose [53]. Ce Sinthome appartient au Réel, même s’il se présente sous une forme symbolique. Ce nouage éclaire rétroactivement la formation de quelque chose qui fonctionne comme une métaphore, métaphore qui trouve son assise dans un Réel traduit dans le symbolique sous une forme à la fois métonymique et homophonique.

 

 La  dysmorphophobie se produit semble-t-il, quand quelque chose jusque là nouée, se dénoue, un peu comme dans la chaîne Joycienne quand Joyce s’est fait battre par ses pairs.  Joyce nous fournit cet exemple, parmi d’autres, où il ne reste de lui qu’une «pelure », un déchet que Lacan dit être le résultat de ce dénouage entre les registres : Réel, Symbolique, et Imaginaire[54]. C’est comme si l’holophrase, n’ayant plus d’intervalle ne permettait plus de nouage. Or comment repérer l’existence de telles formations inconscientes chez un sujet ?

 

L’apparition d’un néologisme, véritable langage d’organe, que Lacan désigne comme étant ce qui ne se trompe pas [55] permet de repérer l’existence d’un Sinthome holophrastique.  En effet ces néologismes trouvent, semble-t-il, leur appui sur des éléments  évoquant le corps et ses objets, tantôt d’une manière homophonique, tantôt comme appartenant à sa nomenclature.

 

Dans chacune de ces séquences parlées, une coordination phonétique apparaît où tous les niveaux de la fonction signifiante sont  dénudés. L’examen de ces phrases, nous amène au plus près de ce qui donne au sujet une métaphore subjective ou plutôt une suppléance à celle-ci. Cette formation, distincte de la métaphore paternelle, ici forclose, participe néanmoins à une solidification de la séquence parlée.[56]

 

Sans le développement d’un nouage sinthomatique, à partir de l’holophrase » S1 – S2, le sujet ne peut que s’identifier, avec l’image de cette chose  corporelle qu’il tend à extraire comme objet.  Cet objet, l’objet a , participe comme un élément mis en série avec les éléments langagiers dans leur formulation ultérieure non pas comme objet mais en tant que référent, il est pris en charge par un signe qui se donne pour inscription de trace en tant que signifiant, signifiant holophrasé. 

 

Cependant il peut déjà avoir une compensation imaginaire qui consiste dans l’organisation des petits a par leur association signifiante. Il se produit une forme d’assomption de l’image comme au stade du miroir. Dans la mesure où les associations les plus fréquentes dans la schizophrénie sont des associations par assonance, il nous semble possible que la voie de l’association  métonymique permette une prise en charge de ce nouveau matériel comme s’il  s’agissait d’un élément homogène.

 

Ce n’est pas que l’holophrase soit articulable dans un discours. L’association par voie métonymique permet de construire des chaînes d’énoncés de plus en plus importantes et variable qui ont pour conséquences d’éloigner la jouissance dysmorphophobique et de construire une compensation imaginaire qui pallie les effets de l’image de l’objet Réel.

 

Remarquons que l’holophrase en question participe à une certaine bipolarité, organisée entre le moment où le glissement de la chaîne signifiante s’arrête et le sujet se trouve momentanément stabilisé comme  «une vache à lait », «un jeu de cheval » comme «un chiale » ou même, dans l’acte de déféquer, et le moment où la langue se délie et l’envahissement dysmorphophobique se fait sentir.  Cette bipolarité nous semble être un effet de structure qui démontre le statut fragile du sujet schizophrène.  Or nous avons remarqué d’après Lacan que dans  l’énonciation, il y a une constitution signifiant.[57] 

 

Quand Lacan introduit la notion linguistique de l’holophrase, il introduit en même temps un mathème en référence à l’enfant débile.  Le sujet prend place dans ce tableau dans la suite des identifications, «au regard de ce quelque chose à quoi la mère le réduit à n’être plus que le support de son désir dans un terme obscur...» [58]  Ce terme obscur est l’objet a, mais l’objet a en référence au regard de la mère, c’est-à-dire l’image de l’objet. Pour notre sujet, c’est pour autant qu’il s’identifie à cet objet corporel que la dysmorphophobie se manifeste et que la langue se délie.[59]C’est dans la mesure où il n’y pas d’association possible entre les termes de l’holophrase avec les autres signifiants, que le sujet ne peut que rester capté par son image en tant que déchet.  

 

Lacan oppose dans ce tableau le sujet du signifiant, S-2, où il y a une suite de sens. Rappelons que ce signifiant est la représentation des processus primaires, celle par laquelle le sujet est re-présenté.  C’est à partir de là qu’il peut y avoir une constitution signifiante.[60]  C’est dans la mesure où le sujet peut déployer l’holophrase  par son association avec d’autres signifiants où la suite de sens peut se capitonner que l’holophrase jouera un rôle de suppléance participant aux nouages des trois registres : Réel, Symbolique et  Imaginaire. 

 

Dans une relation de confiance, qui a pu être installée avec son analyste et peut être à la faveur des éléments du retour du nom propre, notre sujet, M. Lamy [61] a pu s’aventurer  quelque peu en dehors des murs de l’hôpital.  Il trouve refuge dans des bars PMU où il a trouvé une véritable passion dans le tiercé :  « jeu de cheval » et une dimension de reconnaissance auprès de ses «amis » par ses gains.  Sa dysmorphophobie, l’angoisse d’avoir la peau trouée, se trouve alors momentanément apaisée dans la mesure où il accepte d’affronter le regard d’autrui. 

 

Dans ces mêmes séquences donc le sujet trouve les éléments d’un type de suppléance. L’holophrase sera l’appui d’une forme de suppléance à la métaphore du nom du père manquant.

 

La  formule holophrastique semble se réorganiser pour former une sorte de suppléance, se développant par la participation d’une métonymie du corps à une formation homophonique créée par une association par assonance. C’est cet intervalle entre S1 et S2 qui distingue le mot de la chose. Son absence fait leur confusion : le mot est la chose et la chose est l’être ou en des termes lacaniens : Tout le Symbolique est Réel dans la schizophrénie.[62]

 

C’est dans la mesure où les éléments de l’holophrase peuvent trouver une nomination du coté de la série des sens qu’un intervalle peut être créé, non permanent certes, avec la série des identifications.  Ainsi cet élément holophrastique tend à restituer une forme de compensation imaginaire par l’organisation des petits a, la mise en jeu du  Réel. Il permet une forme de suppléance ou nouage de l’imaginaire, du symbolique et du réel et pour en permettre une forme de lien social, de même que sur un mode délirant, pour ce sujet : « JE, J-E de Cheval ».     

 

L’expérience de dissociation renvoie à une expérience où le sujet ne se distingue pas lui-même de l’image de l’objet à l’étape de la constitution de celui-ci. Il en reste marqué comme par un tatouage par le signifiant primaire.  Nous insistons sur cette marque qui est du côté de l’objet a, où le sujet est atteint dans son corps par les effets du S1.

 

Si le corps est le lieu de l’opération primordiale dans l’être venu au monde tel qu’envisage Merleau-Ponty [63]/[64], il l’est en tant que marqué par les effets du signifiant, S-1. Les perturbations du sentiment du soi et le fonctionnement de la pensée du malade en découle. Le relâchement primaire des associations comme symptôme primaire dans un sens bleulerien sera le résultât d’un engluement autour d’un complexe affectif, ancré sur les premiers deux signifiants, S1-S2 pour former une holophrase et non celui d’un trouble perceptif.

 

La constitution des objets, d’un sentiment de soi, de l’Autre est modifiée suite à cette formation inconsciente. Il n’est pas impossible que ce qu’on a pu appeler «complexes affectifs » au sens pluriel, sont d’autres formations holophrastiques qui coexistent et s’associent avec la première holophrase, S1-S2. Le redéploiement de  l’holophrase, S1-S2 par l’association métonymique peut permettre une forme de suppléance à l’identification impossible au stade du miroir.

 

 

 Barbara Bonneau

Exposé le 18 Octobre 1997

ACF Dijon journée des Cartels

Présenté à la publication à la Revue Internationale de Psychopathologie ainsi que à

l'Evolution Psychiatrique en Septembre 1999

non éditée sous ce forme à ce jour

Cet exposé est  lui-même une variation d'un texte « Une holophrase schizophrène ? », exposé juin 1995, Dijon, Antenne Clinique de Dijon, ACF, 11 pp.

une variation traduite et publiée en anglais (2003) et en portugais (2005) : "Une jeu (je) de cheval, Une invention schizophrène" . Voir site. 

 

 Bibliographie

 

 

(1) Binswanger L., Délire. Contribution à son étude phénoménologique et daseinsanalytique, l’édition originale Wahn, Günther, Neske, Pfullingen, 1965, traduit par Aozirn, J.-M. et Totoyan, Y., Grenoble, Million, Collection Krisis, 1993.

(2) Bleuler, E., Démences Précoce ou groupe des Schizophrénies,1911, traduit d’allemande par A. Viallard, Paris, E.P.E.L., Clichy, G.R.E.C.,1993.

(3) Bonneau, B., «J’ai tué mon père et je suis dans la glace ». Mémoire de Maîtrise en Psychologie, 1992. Clinique, Paris VII, 1992 et journée des cartels à Dijon le 18 octobre 1997.

(4) De Saussure, F., Cours de Linguistique Générale, édition critique, Paris,  Payot, 1980.

(5) Freud, S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in Naissance de la psychanalyse, 1895, traduit  d’allemande par A. Berman, 1956,1979, Paris, P.U.F.. 

(6) Freud, S. L’Interprétation des Rêves, traduit de la dernière version de Die traumdeutung publiée par Freud en 1929 (huitième édition allemande) et édité dans les Gesammelte Werke, tome II-III, en 1942, traduit par I. Meyersonet révisée par D. Berger, 1926, 1967, Paris, P.U.F.

(7) Freud, S. L’Homme aux Loups , « A partir de l’Histoire d’une Névrose Infantile », 1918 traduit de l’allemand par J. Altounian et P. Cotet, Paris,  P.U.F., collection Quadrige, 1990.

(8) Freud, S. « La Négation », 1925, traduit de l’allemand par J. Laplanche, in Résultats, Idées, Problèmes, vol. II., Paris, P.U.F., 1987.

(9) Lacan, J., Les Complexes Familiaux dans la formation de l’individu, 1938, Paris Navarin Editeur, 1984.

(10) Lacan, J., « Le stade du Miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », 1949, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

(11) Lacan, Jacques. Le Séminaire, Livre  I, Les écrits techniques de Freud, 1953-1954,texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975.

(12) Lacan, J. « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la  Verneinung de Freud », 1954, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

(13) Lacan,  J. Le Séminaire III, Les Psychoses, 1955-1956, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981.

(14) Lacan, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, séance du 3 décembre 1958, inédite.

 (15) Lacan, J. « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », 1959 in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

(16) Lacan, J. Le Séminaire, Livre X,  l’Angoisse, séance du 23 janvier 1963, inédite.

(17) Lacan, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973.

(18) Lacan, J. Le Séminaire, Livre XXIII, Le Sinthome, 1975-1976, inédite.

(19) Macbrunswick R., « Supplément à l’Extrait de l’Histoire d’une Névrose infantile de Freud, » 1968, in L’homme aux Loups par ses psychanalystes et par lui-même, texte présenté par M. Gardiner, Paris, Gallimard, 1981.

(20) Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.

(21) Merleau-Ponty, M. Le Visible et l’invisible, Paris Gallimard, 1964.

(22) Trésor de la langue française ; Dictionnaire de la langue du XIX et du XX siècle, éd. CNRS, Paris, 1981.

(23) Von Humboldt, W. Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais, Paris, Seuil, 1974.

 

 

 

 



[1] à entendre ici comme le «cogito freudien épinglé par Lacan

[2] Bleuler, E., Démences Précoce ou groupe des Schizophrénies, 1911, traduit de l’allemand par A. Viallard, Paris, E.P.E.L., Clichy, G.R.E.C., 1993. Bleuler, sous l’influence de la psychanalyse,  et les psychiatres phénoménologues  s’intéressent aux troubles du langage, aux associations dites superficielles. Pour ceux-ci, la  défaillance d’une idée directrice dans la construction logique chez des schizophrènes serait l’empreinte des altérations des concepts. Les associations dictées par des complexes affectifs en seront la traduction.  Chez Freud au contraire, une association superficielle est l’effet du travail de la censure.  L’absence d’unité de soi aurait une autre origine, bien que résonante. 

 

« J’appelle » dit Bleuler, «la  démence précoce schizophrénie parce que, comme j’espère le démontrer, la scission (Spaltung) des diverses fonctions psychiques est un de ses caractères les plus importants. » Selon celui-ci, le symptôme primaire fondamental consisterait en un relâchement primaire des associations, une baisse des affinités associatives qui serait la cause d’un affaiblissement des fonctions logiques. Il en résulterait une tendance aux associations approximatives, mécaniques pour ainsi dire, telles qu’associations par assonance.  Ces associations sont déterminées secondairement par les complexes affectifs. L’être du schizophrène qui en résulte se présenterait comme morcelé.

 

La  Spaltung, serait le symptôme clé de la schizophrénie, bien que secondaire selon le concept bleulerien.  La Zerspaltung,  fission non systématisée ou relâchement primaire des associations serait le trouble primaire.  Cette Zerspaltung aurait semble-t-il, une origine cérébro-organique.

 

[3] Binswanger L., Délire. Contribution à son étude phénoménologique et daseinsanalytique, l’édition originale Wahn, Günther, Neske, Pfullingen, 1965, traduit par Aozirn, J.-M. et Totoyan, Y., Grenoble, Million, Collection Krisis, 1993. Ces perturbations se manifestent selon Binswanger,  dés l’étape de la perception. La constitution de l’ego, de l’alter ego, et des choses, sont modifiées en conséquence d’un défit ou une inadéquation de filtrage sensoriel des impressions au  niveau de l’expérience perceptive. Et pourtant, à la différence de Bleuler, Binswanger ne fait pas de la schizophrénie une maladie endogène mais plutôt une affection à fondement historique.

 

[4] De Saussure, F., Cours de Linguistique Générale, édition critique, Paris,  Payot, 1980 p. 98.

Selon  Saussure : « Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle et s’il nous arrive de l’appeler «matérielle », c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept généralement plus abstrait. »  

 

« Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant, ces derniers termes ont l’avantage de marquer l’opposition qui les sépare, soit entre eux, soit du total dont ils font partie. »

 

[5] FREUD,S., L’interprétation des rêves,1926,1929, traduit en français par I. Meyerson, révisée par D. Berger, P.U.F. 1987. Pp. 481.

 

[6] MERLEAU-PONTY, M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945. Pour Merleau – Ponty le corps est le lieu de l’opération primordiale dans la venue de l’être – au - monde. La chaîne associative des impressions sensibles médiatisée par les mouvements, constitue ainsi les objets.

 

[7]LACAN, J., «le stade du Miroir comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », 1949, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

 Pour Lacan, la parole, le langage inauguré au stade du miroir,  tient lieu de l’opération primordiale au-delà de l’expérience perceptive, ici scopique.

 

[8]LACAN, J., Les Complexes Familiaux dans la formation de l’individu, 1938, Paris Navarin Editeur, 1984, p.43. La dysmorphophobie traduit une perturbation du rapport à la réalité semblable au temps préspeculaire où  la prématurité congénitale de l’enfant, est responsable d’un stade constitué sur «la base d’une proprioceptivité qui donne le corps comme morcelé. »   Cette expérience du corps morcelé est mise à l’épreuve, selon Lacan, dans le stade du miroir dont la fonction est la neutralisation de cette sensation angoissante de morcellement par «l’assomption » de cette image comme unité, propre au sujet.

 

[9] Bonneau, B., «J’ai tué mon père et je suis dans la glace ». Mémoire de Maîtrise en Psychologie, 1992. Clinique, Paris VII, 1992 et journée des cartels à Dijon le 18 octobre 1997.

 

[10] « ça », en l’occurrence des «trous » dont il se plaigne.

[11]  Prénom inventé

[12] LACAN, J., Le Séminaire,  Livre  I, Les écrits techniques de Freud, 1953-1954,texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, pp. 54-56.

[13] Ibid.

[14] LACAN, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, séance du 3 décembre 1958, inédite.

[15] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973.

 

[16] LACAN, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, op. cit.

[17] Binswanger tente dans son analyse du délire schizophrénique de mettre en évidence des étapes constitutives de l’expérience naturelle.  Il s’intéresse tout particulièrement à la manière dont la conscience parvient à «un texte continûment lisible de l’expérience »  d’un monde unitaire commun.  La conscience suit toujours,  selon une chaîne de renvois concordants, l’association, les relations d’une chose à une autre, et  parvient donc à une expérience rationnelle. Dans l’expérience schizophrénique ce texte  n’est plus continûment lisible. La conscience ne suit plus les indications données par les choses.

 

[18] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit. Lacan développe les «décisions » que doit prendre, selon Freud, la fonction du jugement. Ainsi, le processus de l’aliénation où l’être en sort comme écorné d’un élément, inaugure le sujet et le non-moi. Il appelle cet élément le non-sens en référence à l’aliénation et le non-lust, la discontinuité entre la perception et la trace, en référence au plaisir dans le processus de séparation.

 

[19] Freud, S., «Esquisse d’une psychologie scientifique » in Naissance de la psychanalyse, 1895, traduit  de l’allemand par A. Berman, 1956,1979, Paris, P.U.F. et Freud, S. «la Négation », 1925, traduit de l’allemand par J. Laplanche, in Résultats, Idées, Problèmes, vol. II. , Paris, P.U.F., 1987.

Pour Freud le jugement par rapport à la réalité est un processus  provoqué par la dissemblance entre la perception et le souvenir de celui-ci.

 

[20] Il s’agit d’un phénomène qui accompagne le vécu quotidien de ce patient. En effet il se trouve «normal »  et sans trous seulement après avoir déféqué. Autrement il se plaint : « Je suis un déchet humain. »  « J’ai des trous sur la gueule. »

 

[21] BONNEAU, B., op.cit.

[22] VON HUMBOLT, W. Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais, Paris, Seuil, 1974., pp. 80-85. Le débat entre les linguistes qui supposent le cri ou l’onomatopée, illustration fréquente d’un signe, appelé une holophrase, comme origine de langage chez le petit enfant ou chez l’être humain, a fait couler de l’encre depuis l’époque de Darwin.  Or, Von Humboldt, un des fondateurs de la linguistique moderne, considère qu’au moment de l’origine (de l’histoire de l’individu), il faut que le langage soit déjà là. Remarquons que nous retrouvons dans ce concept, dans le champ de la linguistique, encore cette notion chère à la psychanalyse,  le toujours, déjà là  de la trace. L’holophrase, selon les linguistes, relève de l’aperception d’une situation globale à laquelle un signe est associé. Le sens de ce signe est donné par la situation prise dans son ensemble.  Chez certains, cette formation verbale décrit un passage entre la communication animale et le langage humain, chez d’autres, elle décrit le paradigme de l’acquisition du langage chez l’enfant.

[23] LACAN, J. ,Le Séminaire,  Livre  I, Les écrits techniques de Freud, 1953-54, op. cit. pp.250-251. D’après Lacan, il n’y a pas de transition entre premier engluement de la situation où se situe l’animal, et la discontinuité qu'introduit la dimension symbolique. Il rapporte  l’holophrase  à une situation limite où le sujet se trouve dans un rapport spéculaire à l’autre et « où ce qui est du registre de la composition symbolique est défini à la limite, à la périphérie. »

* Note ajoutée après l'envoie de ce texte à la révue, Evolution Psychiatrique: A. Stevens, "L'holophrase" in Ornicar?Paris, Navarin, 1987-88, pp. 45-47. Dans ce texte, A. Stevens recense toutes les utilisations de Lacan du terme "holophrase" ainsi que l'utilisation par les linguistes, avant de s'interroger sur la possibilité d'une structure psychosomatique. Lorsque j'ai élaboré ma théorisation sur la logique du délire du schizophréne en 1991-92, j'ignorais ce terme. J'en ai pris connaissance de ce terme dans les travaux de Lacan et de son utilisation par les linguistes dans une cartel avec certains membres de l'ACF Dijon. Ce n'est que plus tard, au moment de l'élaboration de ma thèse, que j'ai rencontré ce travail de Alexandre Stevens. Avec regrets... Cela m'aurait fait gagner du temps. 

[24] FREUD, S., « Esquisse d’une psychologie scientifique » in Naissance de la psychanalyse, 1895, traduit  d’allemande par A. Berman, 1956,1979, Paris, P.U.F.

[25] Trésor de la langue française ; Dictionnaire de la langue du XIX et du XX siècle, éd. CNRS, Paris, 1981T.9. P. 868.

[26] LACAN, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, séance du 3 décembre 1958, inédite.

[27] Ibid.

[28] LACAN,  J. Le Séminaire,  Livre  I, Les écrits techniques de Freud, 1953-54, op. cit. pp. 272.

[29] DE SASSURE, F., Cours de Linguistique Générale, édition critique, Paris,  Payot, 1980.

[30] Lacan, dans sa présentation de «l’algorithme du signe saussurien » retournera le schéma présenté par Saussure, plaçant le signifiant, S (capitale et romain) au-dessus du signifié, s(minuscule et italique).

[31] DE SAUSSURE, F. op. cit.

[32] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.p.129.

[33] Ibid. .p215.

[34] Ibid. pp. 129-130. Lacan dit : « Le trait unaire, le sujet lui-même s’en repère, et d’abord il se marque comme tatouage, premier des signifiants. Quand ce signifiant, cet un, est institué --- le compte, c’est un un au niveau du compte, que le sujet a à se situer comme tel. En quoi, déjà, les deux uns se distinguent. Se marque ainsi la première schize qui fit que le sujet comme tel se distingue du signe par rapport auquel, d’abord, il a pu se constituer comme sujet. Je vous enseigne dès lors à vous garder de confondre la fonction de S barré avec l’image de l’objet a, en tant que c’est ainsi que le sujet, lui, se voit, redoublé, --- se voit comme constitué par l’image reflétée, momentanée, précaire, de la maîtrise, s’imagine homme seulement de ce qu’il s’imagine. »

 

[35] Ibid.

[36] FREUD,S. « Au-delà du principe du plaisir »,  in Essais de psychanalyse, 1920, traduit de l’allemand par J. Laplanche et J-B. Pontalis, 1987, Payot Prismes, Paris, pp. 42-115.

[37] FREUD, S. « Deuil et Mélancolie », in Métapsychologie, 1915, traduit de l’allemand par J. Laplanche et J-B. Pontalis 1968, Editions Gallimard, Folio Essais, pp.144-171.

[38] FREUD,S. « Le Moi et le Ca », in Essais de psychanalyse, 1920, traduit de l’allemand par J. Laplanche et J-B. Pontalis, 1987, Payot Prismes, Paris, pp.241-275.

[39] FREUD,S. « Le Moi et le Ca », op. cit., p. 241.,Freud parle de cette confusion à la phase orale. A ce temps logique de l’individu, « l’investissement de l’objet et l’identification ne peuvent guère être distingués l’un de l’autre. Plus tard, on peut seulement admettre que les investissements d’objet partent du ça, qui ressent les tendances érotiques comme des besoins. » Freud indique dans ce chapitre les destins de cet investissement et fait un parallèle entre la substitution de l’identification au choix d’objet et les croyances des peuples dites «primitifs ».

[40] LACAN, J. Le Séminaire, Le désir et son interprétation, leçon du 3 décembre 1958, inédit à ce jour.

[41]     FREUD,S., L’interprétation des rêves,1926,1929, traduit en français par I. Meyerson, révisée par D. Berger, P.U.F. 1987. Pp. 120-122. 

[42] LACAN, J. Le Séminaire, Livre VI, Le Désir et son Interprétation, séance du 3 décembre 1958, inédite. et A. Stevens "L'holophrase" in Ornicar? n°42 pp.45-79.

[43] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit. p .129.

[44] BONNEAU, B. op.cit.

[45] Ibid.

[46] Freud, S. L’Homme aux Loups , « A partir de l’Histoire d’une Névrose Infantile », 1918 traduit de l’allemand par J. Altounian et P. Cotet, Paris,  P.U.F., collection Quadrige, 1990,p.72.

[47] Ibid. pp.78-82.

[48]  Macbrunswick R., « Supplément à l’Extrait de l’Histoire d’une Névrose infantile de Freud, » 1968, in L’homme aux Loups par ses psychanalystes et par lui-même, texte présenté par M. Gardiner, Paris, Gallimard, 1981, pp.269-270.

[49] Ibid.

[50] BONNEAU,B. op. cit.

[51] Lacan, J. « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », 1959 in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 540. Lacan remarque que chez  Schreber «la phrase s’interrompt au point où se termine le groupe des mots qu’on pourrait appeler  termes-index, soit ceux que leur fonction dans le signifiant désigne … comme shifters, soit précisément les termes qui, dans le code, indiquent la position du sujet à partir du message lui-même. »

[52] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XXIII, Le Sinthome, 1975-1976, inédite.

[53] Ibid.

[54] Ibid.

[55] Lacan, J. Le Séminaire, Livre X,  l’Angoisse, séance du 23 janvier 1963, inédite.

[56] BONNEAU,B. op. cit.

[57] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

[58] Ibid. p. 215.

[59] BONNEAU,B. op. cit.

[60] LACAN, J. Le Séminaire, Livre XI, Les quartes concepts fondamentaux de la psychanalyse, op. cit.

 

[61] nom inventé

[62] Lacan, J. « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la  Verneinung de Freud », 1954, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.392.

[63] Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.

 

[64]  Merleau-Ponty, M. Le Visible et l’invisible, Paris Gallimard, 1964.