"J'ai tué mon père et je suis dans la glace." Articulation entre le rejet du signifiant primordial et l'image spéculaire.

Observation d'une dysmorphophobie

 




 

Barbara Bonneau



 

I. Introduction.

 

Description du lieu

 

Nous avons effectué notre servicea dans un hôpital psychiatrique ancien dans un service récemment renouvelé.  Les locaux assez vétustes, les portes fermées à clef, des psychotiques confondus avec des débiles, donnent à ce service une allure asilaire. Certains des malades y sont hospitalisés depuis trente parfois quarante années.  Cependant, l'arrivée d'un nouveau chef de service depuis environ un an et demi a déjà permis une multitude de changements, y compris le développement d'un plan de sectorisation, la création d'un centre médico-psychologique et l'ouverture d'une maison et d'un appartement thérapeutique.  La capacité intra-hospitalière s'est réduite de cent à cinquante lits et un déménagement des services dans un nouveau pavillon est prévu pour la fin de l'année.  Tout porte à croire que ces transformations auront des effets positifs sur les malades, avec des conditions de vie enfin vraiment humaines.

 

Le sujet de notre étude

 

Le sujet de notre étude est une dysmorphophobie chez un jeune homme de trente-trois ans vivant dans ce lieu depuis treize ans.  C'est le premier malade que nous y ayons rencontré le jour de notre arrivée (dans ce lieu de stage).  Son trouble s'est imposé à nous dès ce moment, par sa singularité, son intelligence originale.  La question que ce malade nous a posée reste la même, depuis treize ans, "Est-ce que j'ai une visage atroce ?  Dis-moi la vérité."  Elle est devenue la notre dans la mesure où nous cherchons à comprendre le sens qu'elle sous entend.

 

Aperçu du milieu et de l'histoire du malade

 

Nous ne souhaitons pas écrire l'histoire de notre malade du point de vue purement historique, ni purement pragmatique mais plutôt combiner les deux sortes d'exposés.  Nous commencerons par faire une esquisse du monde où vivait le malade avant qu'il soit hospitalisé.

 

La plupart des renseignements suivants viennent d'une lettre adressée par les services sociaux de la ville dont le malade est originaire.  Nous tenons à les transmettre ici pour que le lecteur puisse se rendre compte du milieu si dépourvu d'amour qu'a connu notre patient et ainsi entrevoir la "place" qu'il a compris comme étant la sienne. 

 

Michel L. est issu d'un milieu social très défavorisé.  Son père qui était peintre en bâtiment se serait tué en tombant d'un échafaudage avant que Michel ne naisse.  Ce maigre renseignement est tout ce qu'il sait de son père.  Peu après cet accident dramatique, sa mère a épousé Monsieur L. qui a adopté et donc donné son nom à Michel.i  

 

Déjà à neuf ans, Michel était connu des services sociaux.  A cette époque, sa famille venait d'être relogée dans une HLM et quittait ainsi un logement insalubre.  On reprochait à Madame L. d'être extrêmement bruyante, invectivant sans arrêt les enfants qui pleuraient nuit et jour.

 

Michel, l'aîné de cette famille de quatre enfants, donnait des inquiétudes à ses maîtres d'école.  Indiscipliné, renfermé, il vivait hors de l'orbite familiale et fréquentait des bandes de garçons de la cité HLM.  Il rentrait souvent chez lui vers 22H voire 23H30.  S'il rentrait tard le soir, il était alors malmené par ses parents, non parce qu'il était resté dehors jusqu'à une heure tardive mais parce qu'il les réveillait. 

 

Lorsque ses parents partaient à la pêche, en le laissant seul, sans lui donner la clef du logement et de quoi se nourrir, des voisins le recueillaient et lui donnaient à manger.

 

Michel paraissait, aux assistantes sociales, fuir, dès qu'il le pouvait la voix tonitruante de sa mère et l'humeur agressive de son beau-père.  Il se réfugiait souvent chez une dame de la cité pour laquelle il faisait des commissions et chez qui il regardait la télévision. Il est mentionné dans un rapport social que "de toute évidence, l'enfant qui n'a pas dix ans, est un futur délinquant".  

 

A un moment donné, les parents de Michel trouvèrent une solution pour "se débarrasser" de leurs enfants, ils les échangèrent contre la nièce du beau-père et ils restèrent ainsi deux ans à la campagne.  Michel gardera un souvenir douloureux de cette période où il semblerait que lui, ses soeurs et son frère aient subi des mauvais traitements de la part de leur "oncle".

 

Retournés chez leurs parents, les enfants sont à nouveau livrés à eux-mêmes, se nourrissant comme ils peuvent.  C'est de cette époque que date l'intervention des assistantes sociales.  La surveillance stricte et régulière des services sociaux s'imposait donc depuis les treize ans de Michel.

 

A cette époque Madame L. était souvent hospitalisée, sans que nous ayons réussi à savoir exactement pourquoi et les trois plus jeunes enfants fussent alors placés. Seul Michel demeura au foyer avec ses parents.

 

Monsieur L., désorganisé quand son épouse était absente, buvait plus que de coutume et accumulait les dettes.  L'éducation de Michel était fortement négligée d'autant plus que cet homme  rejetait ce garçon qui n'était pas son vrai fils. 

 

Madame L. buvait également et ne s'occupait ni du ménage, ni des repas.  Les enfants accusaient tous des difficultés d'expression.  Ils souffraient de carence alimentaire aussi bien qu'affective.

 

De nombreuses interventions des services sociaux seront sans grands résultats.  A partir des quatorze ans de Michel, il y aura la mise en place d'une tutelle sur les prestations sociales à laquelle la famille s'opposera.  Il n'y aura aucune collaboration des parents pour le suivi des enfants. Les différents projets de placement en apprentissage pour Michel n'aboutiront pas. 

 

Le beau-père de Michel deviendra de plus en plus agressif et son éthylisme s'accroîtra. Il voulait alors absolument placer Michel qui traînait dans les rues et refusait d'aller à l'école. Celui-ci commença à boire et se battit avec son beau-père.  A partir de ces incidents Michel sera suivi par un délégué de la liberté surveillée du Tribunal Pour Enfants pour un délit de coups et blessures.

 

La mère de Michel décèdera alors que celui-ci entrait dans sa seizième année.  Il en sera fortement affecté.

 

Quelques mois plus tard, Monsieur L. sera convoqué au tribunal pour témoigner. Michel aurait voulu violer sa propre soeur devant lui.  Son beau-père désirait le mettre à la porte.  Le résultat de l'enquête de la Brigade des Mineurs, d'après les assistantes sociales, conduira à la décision en justice d'un placement définitif des trois plus jeunes enfants et à l'incarcération du beau-père pour comportement incestueux.

 

Il semblerait que Michel lui-même aurait fait une courte peine de prison pour "atteinte aux moeurs" pendant cette période mais ce renseignement ne figure pas dans la lettre des assistantes sociales. Cette information vient de Michel lui-même et nous avons des difficultés à la dater.  Nous pensons qu'elle a eu lieu à peu près à la même période, quand il avait seize ans (ce qu'il a affirmé un moment donné) et probablement cette détention a eu lieu en attendant le résultat de l'enquête de la Brigade des Mineurs.  Nous la retiendrons surtout comme faisant partie d'une constellation des "temps symboliques" précédant le déclenchement de la psychose. A ce titre, il dira à plusieurs reprises : "J'ai mûri en prison."  Il nous affirme y avoir célébré son dix-huitième anniversaire mais nous ne savons pas s'il s'agit de la détention en question ou de la suivante. En tout cas à en juger par le comportement de Michel à sa sortie de prison, nous pensons qu'il se croyait être devenu un "homme".

 

 Nous devons également mentionner que ses affirmations concernant   l'incarcération de son beau-père tendent à minimiser la peine de prison de ce dernier afin de disculper celui-ci du crime d'inceste.  Michel nous a dit que sous sa pression, un ami se serait rendu au tribunal pour avouer que c'était en fait lui, le père de l'enfant qu'aurait porté la soeur de Michel à cette époque. 

 

Nous ne savons pas si la citation de cet ami ne serait pas un effet du retour dans le réel du nom propre dans le délire de Michel, ni si sa soeur a un enfant né de l'inceste.  Michel rejette sa propre responsabilité ainsi que celle de son beau-père dans l'inceste et donc la paternité.  Nous y reviendrons. 

 

Une fois Monsieur L. emprisonné, Michel vivra de manière intermittente au foyer parental dans des conditions "épouvantables".  Accumulant les retards de loyer, le beau-père donnera congé depuis la prison et Michel sera expulsé de cet appartement. Il vivra alors de petits larcins, se réfugiant dans des caves de la cité HLM jusqu'au moment où il sera arrêté avec d'autres garçons de sa bande pour le cambriolage d'un magasin. Il passera à peu près un an en prison.

 

A sa sortie, Michel sera hébergé brièvement dans un foyer.  Pendant un mois, il travaillera avant de quitter de lui-même son emploi.  Au moment de son internement, Michel, toujours sur la voie de la précarisation, se réfugiait tantôt chez des amis, tantôt dans des caves. 

 

Michel ne verra jamais plus son beau-père.  Celui-ci sera renversé par un camion peu après sa sortie de prison et décèdera de ses blessures, pendant l'hospitalisation de Michel.

 

Description de la Maladie Actuelle

Michel L. fut admis dans nos services sous placement d'office il y a environ treize ans pour une bouffée délirante de type mystique aux allures mégalomaniaques avec des propos paranoïdes.  En effet, sous l'influence d'hallucinations auditives et visuelles, dans un état éthylique, il faisait peur aux enfants dans la cité HLM où il avait trouvé refuge.

 

Dégrisé, il raconte: "Je faisais peur aux enfants.  Oui.  C'était la soumission de ma doctrine, j'avais une raison de mon esprit.  On m'a mis une doctrine sur la tête pour que je demeure un bonhomme, un arbre de Noël, quoi, j'ai deux personnalités. Je suis un cheval, je suis doctrine cheval, et puis je suis un homme."

 

"Je suis le génie de …"(sa ville). "Je suis un événement, je suis rien et personne."  "On me croit en deux personnes".

 

 "On m'a pris pour un lion par l'adjectif trop parfait de moi, pour ma clé, mon échappé, ma naissance, mon accident." "Je me bats depuis un an, avec mon visage, mon image, quand j'étais encore dément, je n'étais pas encore démentelé par la doctrine." "Je voulais être beau-père, une femme et des gosses.  Quand les gendarmes sont venus, je me suis vu perdu."

 

Tels ont été les propos tenus par Michel à son arrivée à l'hôpital.  Son hospitalisation a été maintenue en raison d'une "schizophrénie paranoïde".  Au cours des années, l'établissement d'un lien de confiance minime avec l'équipe soignante a permis  un changement de la prise en charge en "service libre".  Le syndrome hallucinatoire a cédé en grande partie ces dernières années mais en donnant de plus en plus de place à la conviction inébranlable d'avoir des trous dans le visage.

 

"Je suis un déchet humain," dit Michel.  "Je ne suis pas comme les autres, si je n'avais pas été marqué par la vérole, j'aurais pu travailler."  En effet, cet état l'empêche de circuler  normalement, de construire un projet quelconque hors les murs de l'hôpital.  C'est à la limite du supportable de déambuler dans le pavillon de l'hôpital. Croiser le regard d'un autre dans la rue  prend une tonalité malveillante et insupportable, et peut être susceptible d'une riposte agressive de sa part.

 

Toute tentative de sa part de réaliser "l'exploit" de s'affronter à de nouvelles têtes, de sortir à l'extérieur de l'hôpital, se solde dans les jours qui suivent d'un redoublement du ravage qu'il subit, et il est alors sur le point de décider de "se faire la peau" et demande souvent d'aller se faire opérer par un chirurgien esthétique.  Par ailleurs, il passe de longs moments chaque matin à se regarder dans le miroir, sidéré, face à sa propre réflexion.

 

Curieusement, le seul moment où il se sent soulagé à propos de son apparence est quand il passe à la selle. Le lecteur se souviendra à cet endroit que l'Homme aux Loups a connu un phénomène similaire vis-à-vis de son célèbre "voile".[1] Pour Michel qui souffre également de constipation, les traitements variés pour ce mal lui viennent en secours. Il a été soigné pour un incident digestif important avec aspect pseudo occlusif auquel on a finalement porté le diagnostic de colites, lors d'un séjour en hôpital général et divers examens complémentaires.  

 

D'autre part, même l'alcool qu'il se procure pendant ses permissions ne semble plus suffisant à endiguer les angoisses causées par ses hallucinations, car il a l'impression de déroger aux soins quand il boit, de trahir la confiance de son médecin, et la culpabilité qu'il ressent vient écraser le bien-être temporaire qu'il trouvait jusque-là dans l'ivresse.  Aussi ses efforts de tempérance ne représentent  pas non plus  un gain pour lui.  Jusque-là, l'excitation produite par l'ivresse lui procurait la force de braver le monde malgré son "apparence atroce". Ainsi il est prêt "à foncer dans le tas", répondant à la provocation qu'il lit dans le regard de l'autre.  Privé de ce recours héroïque, il est fixé dans une position que nous pouvons qualifier de mélancolisée, réduite à son être de déchet.

 

"Dites-moi la vérité, dites-moi que je suis affreux."  Est-ce que vous pensez qu'une femme pourrait m'aimer ?" Il demande trente fois par jour à tout son entourage, "est-ce que ma figure n'est pas pleine de trous ? ". Il dit : "Ce n'est pas comme la laideur, ça ne fait rien d'être laid, ça c'est pire".  Cette conviction est alimentée en partie par des interprétations délirantes du regard d'autrui.  Parfois les réponses elles-mêmes subissent des transformations.  Nous y reviendrons mais nous citerons dés maintenant un exemple; pour "décidément", Michel entend "dément" -- commentaire injurieux faisant aussi partie de l'ensemble hallucinatoire: "sadique", "vache", "démon" ou "dément".

 

Ces propos sont attribués aux infirmier(e) s, et plus généralement à quiconque se trouve derrière lui ou dans son champ visuel.  Il pense qu'on parle de lui ou qu'on se moque de lui "à cause de (son) mon visage", de sa "sale tronche".

 

En outre, on compte de nombreux passages à l'acte violents chez ce patient.  Leur mécanisme et leur signification seront étudiés ultérieurement.  Ainsi il se défend continuellement contre des allusions ou des hallucinations à tonalité homosexuelle, ou contre des "allusions" concernant son visage.   

 

Parmi d'autres plaintes de ce patient on trouve l'insomnie.  Il ne se passe pas une journée où il ne se plaigne de n'avoir pas dormi de la nuit.  Il dit "toute la nuit ça gamberge là-dedans", en indiquant sa tête.  Malgré de fortes doses de somnifère, Michel trouve difficilement le repos.  Néanmoins, depuis peu, il semble y avoir une petite amélioration; de temps en temps, il félicite son médecin d'avoir enfin réussi à le faire dormir.

 

Un phénomène disparu est le "plafonnement" des yeux qui semblait être de provenance plutôt psychique.  Dans son temps ce symptôme s'est montré particulièrement pénible et paraît-il, aussi tenace que l'insomnie, malgré plusieurs thérapeutiques.  Cependant, il nous manque trop d'éléments pour étudier ici ce phénomène.

 

La plainte de Michel concernant son apparence n'est pas, bien entendu, fondée sur une difformité disgracieuse ni sur une mutilation quelconque.  Néanmoins, avant d'entrer en détail dans l'étude de cette dysmorphophobie, nous mentionnerons aussi que ce patient présente souvent des érythèmes sur la figure et sur le corps, un oedème des paupières et occasionnellement des poussées d'acné.  Ces phénomènes, qui le préoccupent énormément, ont fait l'objet de bilans rénaux et sanguins mais qui n'ont jamais donné de résultats positifs.  En fait, il semblerait qu'ils soient d'origine psychosomatique.  Il a eu beaucoup de mal à accepter des soins locaux au début, "je ne veux pas passer pour une gonzesse".  

 

Il est parfois également préoccupé par la morphologie de son sexe. Il a eu un phimosis.  Il dit "je suis puceau."  "J'ai le sexe tordu, je ne peux pas pénétrer une femme."

 

Ses soucis ne se limitent pas à lui-même.  Comme en miroir, il trouve que son frère a "un grand nez tordu", " que son visage est déformé et qu'il est sûrement débile".

 

II.  L'entrée dans la psychose.

 

Les différents temps symboliques

 

 Comme pour d'autres patients, névrosés ou psychotiques[2], il est difficile pour Michel de faire une chronologie exacte de sa biographie. Celle-ci recouvre la biographie citée dans la lettre des assistantes sociales et la dépasse par "sa vérité" plus que par "sa réalité".  Ce récit a, en effet, sa propre cohérence si nous tentons de le comprendre par le biais des "événements  symboliques», en se contentant de ne les dater que vaguement. Ces évènements sont importants d'une part, parce qu'ils apparaissent spontanément dans le récit du sujet quand il essaie de comprendre sa maladie et d'autre part, parce que c'est au travers d'eux qu'apparaissent des signifiants lourds de sens pour le sujet. 

 

Différents des "souvenirs-écrans"[3] formulés par les impressions précoces dont le névrosé se sert pour la formation symbolique en vue d'accomplir rétrospectivement un désir actuel, les impressions conservées ici semblent souvent retenues pour leur valeur énigmatique de signifiant pur.

 

Par exemple, Michel sera fortement affecté par un déménagement de sa famille qui a lieu pendant son séjour en colonie de vacances "à la Tremblade".  Ils quittent alors leur logement trop petit et insalubre, rue "Sabot" pour intégrer un appartement bien plus confortable, rue "Hoche".  Il avait environ neuf ans à l'époque et actuellement il se reproche de ne pas avoir félicité son beau-père de les avoir mieux logés, d'avoir acheté une télévision, etc. Il en parle confusément comme s'il s'interrogeait, en quête de quelque chose qui scellerait la raison de sa maladie.

 

 La locution "A la Tremblade" semble s'attacher aux voix délirantes qui lui disent : "Tu es né de la peur" ou parfois simplement : "Né la peur".  Quant à l'importance du nom des rues, nous nous demandons si ce patient n'entend pas qu'il a quitté rue "Sa Beau" pour habiter rue "Moche".  S'il est vrai que nous interprétons les dires du sujet, il nous semble que cette interprétation ne s'éloigne pas du contexte délirant du malade et souligne la façon dont il se sert du langage.  En outre, nous nous demandons si ce souvenir en lui-même est traumatique où s'il est devenu traumatique "après-coup".

 

Un autre souvenir raconté par Michel est le séjour chez son "oncle".  Dans son récit, ce souvenir est le plus désordonné. Quand il l'évoque, il tremble d'angoisse.  Ce souvenir se rapporte à une période entre onze et quatorze ans où il semblerait qu'il ait travaillé comme un "nègre", ait été battu et surtout ait souffert de l'abandon parental.  Evidemment la "place" occupée par  ces enfants dans leur famille n'avait guère d'importance aux yeux de leurs parents. Toujours selon Michel, au bout de deux ans, ne supportant plus les mauvais traitements de son oncle, il aurait pris contact avec un autre oncle qui serait venu les chercher.  Ils ont ainsi regagné le foyer parental.       

 

Pendant la période féconde du délire, Michel aurait dit : "J'ai un oncle qui a probablement baisé ma mère et l'autre qui a baisé sa fille". Nous ne savons pas si Michel ne confond pas, par moment, son oncle avec son beau-père ou s'il a aussi été le témoin d'une activité incestueuse de la part de l'oncle.  En fait, Michel semble beaucoup nier ce qui s'est passé avec son beau-père et non seulement l'inceste mais aussi les mauvais traitements qu'il a subis.  Il dit très souvent qu'il a été "beaucoup aimé par des amis de (sa ville)" 

 

C'est au retour de ce séjour chez son oncle que les choses vont s'accélérer.  Il trouvera son monde à nouveau transformé : Sa mère malade, très fréquemment hospitalisée, son beau-père buvant de plus en plus, traînant dans les rues, ivre; si Michel a espéré trouver une famille enfin réunie, il ne restera à ce moment là plus grand chose de cet espoir.  

 

En effet, il ne peut plus que constater sa "place".  Le jour où Michel retournera à la maison avec sa première paye, attendant d'être "accueilli à bras ouverts", d'être "félicité",  "j'ai trouvé un clochard à ma place avec mon père".  Son beau-père refusait à Michel le droit de s'installer à table bien que celui-ci travaillait pour contribuer aux dépenses familiales.  Michel se serait battu avec le clochard pour reprendre sa "place". Nous pouvons aussi constater le nombre et l'importance des déceptions  éprouvées par ce patient : Chaque "retour" chez lui fournissait la "preuve"  qu'il n'était pas grande chose, le confirmant dans ce qui allait devenir sa position subjective.

 

Michel se rappelle ces événements en bloc, les alignant comme s'ils étaient unis, les confondant presque.  Il est clair que pour lui, ils se rapportent à son trouble actuel.   

 

Pendant cette période, il est fortement affecté par la mort de sa mère.  Il ne critique pas souvent son beau-père mais il se rappelle avec beaucoup de douleur que "(s)on père engueulait[4] (s)a mère sur son lit de mort".  "Il l'a laissée mourir de la jaunisse."

 

Pendant la période féconde du délire, Michel dira : "On m'a tué en me mettant avec des alcooliques et on a cassé le mariage avec ma mère.  Elle était forte alors que le père était bien."  "Ma mère a été violée par des démons."  Il  dira aussi qu'il n'a pas été assez gentil avec sa mère, qu'il l'aimait pourtant. "Elle était un peu trop forte et mon père l'a poussée à boire.  Elle en est morte, il a pu se remarier."  

 

L'histoire incestueuse de cette famille est certainement très importante dans la formation du délire.  Nous avons mentionné les propos se rapportant à son oncle (ou peut-être à son père).  Quant à son propre rôle et à celui de son beau-père, il n'en dira pas grande chose.  Quand ses pensées se rapprochent de cette période, il devient très angoissé par ses évocations et demande une injection de tranquillisant immédiatement après l'entretien.  Nous nous demandons  si les voix qu'il entend ne sont pas liées directement à ces événements.  En effet, Michel perçoit des voix vociférant des injures, des accusations : "sadique", "démon", etc., l'accusant d'avoir couché avec sa soeur, et des voix qui pourraient être interprétées comme étant moqueuses, défiantes, qui le traitent de poltron : "Tu es né de la peur", "Tu es un chial", etc.  Nous y reviendrons.    

 

 Nous pensons plus juste d'appeler "prépsychotique", suivant l'enseignement de Lacan cette période suivant le décès de sa mère. Michel dit que c'est en prison, qu'il a "mûri", qu'à sa sortie il aurait du se faire soigner.  Il semble ainsi faire allusion à une sorte de perplexité ressentie à sa remise en liberté, voire, encore en prison, "concernant le signifiant".[5]

 

 Il est sorti de prison avec l'idée de "faire la peau aux Arabes", une façon pour lui de se conduire en homme, mais avant de mettre cette idée à exécution, il est allé solliciter les faveurs d'une prostituée.  Il est monté avec elle, a eu des rapports, semble-t-il, et quand il se préparait à partir, elle l'aurait rappelé,  montré son argent et dit : "Pour toi, c'est gratuit."

 

Le déclenchement du délire

 

Cette expression venant de la part d'une prostituée a laissé le jeune homme sidéré.  Ne sachant comment répondre à l'énigme  qu'était pour lui cette phrase, il fut pris d'angoisse et il partit en toute hâte. Il nous dit : "J'ai pensé qu'elle voulait que je sois son proxénète."

 

Dehors, il entendit une voix qui lui disait : "Tu es né de la peur" et il nous dit qu'il avait eu envie de "chialer".  Il entendait : "Michel, tu es une vache à lait".

 

Selon Lacan "le délire commence à partir du moment où l'initiative vient d'un Autre, avec un A majuscule, où l'initiative est fondée sur une activité subjective.  L'Autre veut cela et il veut surtout qu'on le sache, il veut le signifier."[6] Avec l'éclosion du délire nous entrons dans "le domaine d'une intersubjectivité", impliquant "l'immixtion des sujets". Il y a usage de "l'entre-je, c'est-à-dire du sujet interposé." [7] C'est-à-dire, le délire proprement dit n'est pas cette période de perplexité précédente mais il commence à partir du moment où le sujet entend des voix. 

 

Tout semble se passer comme s'il y avait chez Michel une perplexité croissante concernant le signifiant.  L'énigme comme une épée de Damoclès qui planait jusque-là, tombe avec cette "demande" supposée de la prostituée. Le processus en jeu est similaire à celui qui  précipite Schreber dans le délire : Alors qu'il s'interrogeait sur la paternité, il eut ce fameux réveil où il se dit que ce serait beau d'être une femme subissant l'accouplement et c'est à partir de là qu'il eut des troubles du sommeil pour lesquels il consultât le Dr Fleschig qui lui promettait un traitement efficace, le délire éclata quand Fleschig lui souhaita "un sommeil bien fécond". 

 

Lacan supposait que le sujet "réagissait à l'absence du signifiant par l'affirmation d'autant plus appuyée d'un autre qui, comme tel, est essentiellement énigmatique.  L'Autre, avec un grand A, (...) était exclu, en tant que porteur de signifiant.  Il en est d'autant plus puissamment affirmé, entre lui et le sujet, au niveau du petit autre, de l'imaginaire" (...) "au niveau de l'entre-je (...), du double du sujet, qui est à la fois son moi et pas son moi." [8]

 

En effet chez notre sujet il s'agit d'un signifiant manquant, lieu même de l'articulation du Réel et du Symbolique, qui conduit à l'exclusion de l'Autre.  Les voix et tous les phénomènes de la symptomatologie nous fournissent une indication de cette question du signifiant.

 

Chute du père et la scène originaire.

 

La Prägung du sujet : la forclusion du Nom-du-Père

 

Notre sujet semble avoir très bien repéré lui-même son virage subjectif et témoigne que pour lui, désormais, rien n'est plus comme avant.  Ainsi, nous voyons dans les "temps symboliques", les manifestations d'un traumatisme de ce que Lacan appelle "l'effraction imaginaire" de "la Prägung de l'évènement traumatique originatif."[9]  Ce noyau autour duquel s'amasse le matériel symbolique se reconnaît par la répétition de ses rejetons, "après-coup".

 

Lacan remarque que "ce terme Prägung emporte avec lui des résonances de frappe, frappe d'une monnaie" et sa valeur traumatique "n'est nullement à situer juste après l'événement". Cette notion nous ramène à ce que Freud a signifié par sa description de l'effet "après-coup".[10]  Un traumatisme prendra sa signification traumatique seulement dans un temps ultérieur par l'identification mutuelle des traces mnésiques qui sert de détonateur.  Un exemple de l'opération d'un traumatisme après-coup est le rêve que fait l'Homme aux Loups dans l'attente des cadeaux de Noël, attente qui nous le rappelons trouve son ressort dans l'attente d'être satisfait par le père et ce que cette satisfaction implique.

 

"Le trauma, en tant qu'il a une action refoulante, intervint après-coup, nachträglich.  A ce moment-là, quelque chose se détache du sujet dans le monde symbolique même qu'il est en train d'intégrer.  Désormais, cela ne sera plus quelque chose du sujet.  Le sujet ne parlera plus, ne l'intégrera plus.  Néanmoins, ça restera là, quelque part, parlé, si l'on peut dire, par quelque chose dont le sujet n'a pas la maîtrise.  Ce sera le premier noyau de ce qu'on appellera par la suite ses symptômes."[11]  

 

Cette Prägung de l'événement que Freud nous explique se situe d'abord dans un inconscient non refoulé, elle "n'a pas été intégrée au système verbalisé du sujet," ajoute Lacan, " elle n'est même pas montée à la verbalisation, et même pas, à la signification"[12] et comme telle serait la source d'un éventuel refoulement. 

 

Lacan dit qu'entre la "frappe" et le refoulement symbolique, il n'y a "aucune différence essentielle".  "Il n'y a qu'une différence, personne n'est là pour lui donner le mot".[13] Pour notre sujet, ce noyau, la Prägung, se rapporte à une image Oedipienne absente, non pas à l'absence d'une image paternelle se rapportant à la chute du père réel de son échafaudage de peintre mais à la forclusion du Nom-du-Père.

 

 La métaphore du Nom-du-Père est le nom que donne Lacan au signifiant qui vient "à la place premièrement symbolisée par l'opération de l'absence de la mère."[14]

 

 Pour Lacan, c'est la forclusion de ce signifiant qui déterminera la psychose.  Nous trouvons l'expression de cette chute symbolique dans la phrase du sujet : "Est-ce que j'étais déjà dans le ventre de ma mère quand mon père est mort ?"  Nous remarquons qu'au même moment, il a rejeté tout ce qui est du domaine de la réalisation génitale.

 

La castration : de la libidinale au narcissique

 

En effet, chaque moment symbolique semble se poser comme une interrogation sur la virilité du sujet et essentiellement, comme une interrogation sur son intégrité narcissique.  Il semblerait bien que par le biais de cette Prägung opère un glissement, chez ce sujet, de ce qui est d'ordre libidinal à ce qui est d'ordre narcissique.

 

Nous retrouvons là, une manifestation de ce que Freud a épinglé sous l'enseigne de la castration.  Notons comment il formule l'angoisse de castration chez L'Homme aux Loups.  Selon Freud, la force pulsante du refoulement qui donne lieu à la phobie du loup "ne pouvait être que la libido génitale narcissique qui par inquiétude pour son membre masculin, se rebellait contre une satisfaction dont la condition semblerait être le renoncement à ce membre.  Dans ce narcissisme menacé il puisait la masculinité avec laquelle il se défendait contre sa position passive envers le père."[15]

 

Ainsi sous le même enseigne se trouve la libido et le narcissisme; l'idée est que tout l'être est génital et que cette inquiétude pour le membre masculin recouvre une inquiétude sur le plan narcissique.  La castration sera envisagée ici comme quelque chose qui fait limite à la satisfaction pulsionnelle. Ces précisions nous semblent importantes pour comprendre le sens que prend "la castration" dans la psychose. Dans le cas de l'Homme aux Loups, et chez notre sujet, sur un autre niveau, la  signification de la castration sera "rejetée", verworfen, terme que Lacan a traduit par le mot "forclusion".

 

Freud dit au sujet de l'Homme aux Loups, que le sens premier de ce rejet "est qu'il n'en voulut rien savoir au sens du refoulement.  Aucun jugement n'était à proprement parler, porté par là sur son existence, mais ce fut tout comme si elle n'existait pas."[16]  Ce premier noyau du refoulé, ce "au-delà du refoulement "qui est "constitué primitivement" sera le centre d'attraction "qui appelle à lui tous les refoulements ultérieurs". "Il en est le fond et le support"[17] du refoulement.

 

 Le poids du réel

 

 "Dans la structure de ce qui arrive à l'Homme aux loups, le Verwerfund de la réalisation de l'expérience génitale est un moment tout à fait particulier, que Freud lui-même différencie de tous les autres."[18]  Cette forclusion de la signification de la castration est ce qui sera exclu de l'histoire de l'Homme aux loups, ce qu'il sera incapable de dire sans l’insistance de Freud.  Elle restera le ressort, d’après Freud, de l'expérience répétée du rêve infantile et de l'épisode "psychotique" ultérieur, selon Lacan. 

 

C'est cette incapacité à dire que Lacan fait valoir ici. Incapacité à dire et absence, devons-nous inclure, d'une parole venant de l'Autre qui met en mots l'expérience vécue par le sujet si en raison de son immaturité il n'y arrive pas par lui-même.

 

 C'est peut-être cette absence de parole dont notre sujet se plaint lors de la période féconde de son délire, quand il disait : "Je refuse à ma mère de dire où est mon père"; cela n'indique pas seulement le refus de prendre en compte la mort de sa mère mais c'est surtout une tentative pour recouvrir ce que sa mère ne lui a apparemment jamais dit, c'est-à-dire, qui était son père et surtout ce qu'il a été pour elle.  "Je ne sais pas ma naissance, j'aurais voulu me voir naître les yeux ouverts. Je n'ai jamais connu mon père, de un an à vingt ans, je me sais un Français."

 

Né pour ainsi dire "les yeux fermés", notre sujet ne pouvait rien savoir non plus des "crimes oedipiens", ni de la sanction pour ceux-ci.  Si nous observons dans le délire une tentative de réintégration du passé par la mise en fonction dans le jeu des symboles la Prägung, l'ampleur du traumatisme chez notre patient semble empêcher l'accomplissement d'un tel projet après-coup.  En effet, il semblerait que de nombreuses tentatives d'intégration symbolique seront particulièrement troublantes et se solderont par des effractions imaginaires.  Les contenus de ces représentations prendront leur valeur traumatique dans la mesure où il y a une action refoulante, après-coup.

   

Tout comme les phénomènes de répétition du rêve infantile chez l'homme aux loups, et comme son "épisode" psychotique, l'inscription sur le corps est liée à cette "frappe" d'une "monnaie" originelle.  

 

Mais comment ce refus, cette forclusion, en tant que Prägung, peut-il opérer dans le développement des symptômes et des phénomènes langagiers chez notre patient ? En d'autres termes, comment un manque symbolique aboutit à une impression de transformation corporelle, à une dégradation du langage, aux hallucinations auditives ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III. L'inscription sur le corps.

 

Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine.  Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un ventre brun en forme de voûte divisé par des nervures arquées.  La couverture, à peine retenue par le sommet de cet édifice, était près de tomber complètement, et les pattes de Grégoire, pitoyablement minces pour son gros corps, papillotaient devant ses yeux. 

 

"Que m'est-il arrivé ?" pensa-t-il.  Ce n'était pourtant pas un rêve : sa chambre, une vraie chambre d'homme, quoique un peu petite à vrai dire, se tenait bien sage entre ses quatre murs habituels.    Extrait de La Métamorphose  Franz Kafka

 

L'évolution du délire: les métamorphoses

 

L'hallucination de base, la dysmorphophobie, la conviction d'avoir un visage atroce, troué, marque la position précaire de ce sujet.  Chaque jour, à multiple reprises il relance sa demande, s'adressant à ses semblables, aux malades, au personnel soignant : "Dites-moi la vérité, est-ce que mon visage est plein de trous ? Est-ce que je suis affreux ?"

 

Que veut dire cette plainte qui est fondée justement sur ce que les autres ne voient pas, mais qui laisse le sujet sidéré ? Quel est le rapport entre cette hallucination et les autres phénomènes délirants ?

 

Pour répondre à ces questions nous allons étudier le rapport entre le langage du sujet et le corps, son rapport à son image spéculaire et le rapport au miroir de "l'Autre", ces phénomènes liés sans doute entre eux.

 

Comme Freud l'a constaté, l'hallucination doit être "plus que le fait de ramener régressivement des images mnésiques qui sont, en soi, Ics,"[19] et doit être le fait d'une décomposition du moi jusqu'à une chute ou la mise hors de l'activité de  "l'épreuve de réalité".[20]  C'est ainsi que Freud définit la perte de la réalité dans la psychose, où "le nouveau monde extérieur fantasmatique (...) veut se mettre à la place de la réalité extérieure."[21]    

 

Quand nous écoutons Michel L. parler de sa maladie, nous nous apercevons qu'il a ressenti un changement qui l'a laissé très perplexe. Il dit: «j'ai mûri en prison," exprimant par là sa perception de ce processus de transformation.  En effet, c'est derrière ces "murs" qu'il va subir une métamorphose, où la chrysalide prépsychotique se mue et commence à s'inscrire sur le corps.

 

Bien que nous nous exprimons ici comme s'il y avait eu une progression d'un processus oeuvrant du début jusqu'à une fin, c'est plus par souci d'exprimer le vécu du sujet que pour en démontrer tout de suite le mécanisme.  Comme nous l'avons dit, nous pensons que le sujet a ressenti une période de perplexité avant l'éclosion du délire proprement dit.  Cependant, c'est surtout après-coup qu'il élabore le vécu de ce processus, où confronté avec ce qui lui est arrivé, il essaie d'en déchiffrer l'énigme.

 

Il dit qu'en prison il s'est mis "dans une formidable colère, et ça s'est inscrit" sur son visage, et c'est "alors qu'il a eu la métamorphose."  En fait, selon lui il aurait eu "trois métamorphoses", la dernière étant responsable de son état actuel.

 

Pendant la période féconde du délire et dans sa reconstruction après-coup, il aurait entendu une voix qui lui disait : "Michel, tu es une vache à lait."  Il pensait que cela voulait dire qu'il était "un être irréel", un être spécial, que tout le monde allait le regarder en disant, "il est né d'une vache à lait, il est un être irréel." Pourtant il savait bien qu'il était né "du vagin" de sa mère.

 

 Ne semblant pas adhérer au sens commun de cette expression, c'est-à-dire comme figure de la fortune ou même dans un sens plus péjoratif d'être un naïf qu'on peut traire, notre sujet s'imaginait transformé, que son visage a pris l'aspect "d'une vache à lait" ou parfois, d'un "cheval" et qu'il était désormais "un dieu".  Comme "être exceptionnel" il pensait qu'il "contrôlerait tout le monde".  Il avait un "mage" qui lui aurait donné une "doctrine".

 

Il dit qu'il a beaucoup réfléchi et que finalement il a décidé qu'il "n'était rien du tout".  Par ailleurs il tient pour responsable de sa dernière métamorphose, la "salope", en l'occurrence la prostituée, qui lui aurait donné la "petite vérole".  En effet selon lui, son visage serait marqué par cette expérience sexuelle.  A vouloir "faire l'homme", notre sujet se trouve transformé en "déchet".

 

Il disait : "Vous voulez que je sois la frite, je vous l'ai entendu dire, Maryse aussi veut que je sois la frite, bagarreur quoi, c'est pour ça que je ne sais plus où j'en suis[22];je ne sais pas si je veux devenir social avec la famille, la pêche ou marginal, en redevenant la frite."

 

"J'ai lâché ma frite dans les bordels parce que je ne me connaissais pas.  Je me suis trouvé moins beau parce que je me retrouvais des trous sur la gueule, comme maintenant".[23]

 

Le mécanisme par lequel procèdent ces "métamorphoses" semble aller au-delà d'une hallucination, ou devons-nous dire que le processus hallucinatoire est bien plus complexe qu'une simple illusion qui se trouve objectivée dans l'espace, tout différent d'une pure perception sans objet, comme décrit Merleau-Ponty dans sa Phénoménologie de la perception.

 

Freud, et Lacan après lui, ont remarqué comment ce processus est intimement lié à la relation à l'Autre, et à la parole de l'Autre, ainsi qu'au langage.[24]

 

Freud raconte ainsi l'épisode hallucinatoire de l'Homme aux loups, dans les mots du patient, lorsque celui-ci se voit pendant quelques instants s'être coupé le petit doigt. "De douleur je n'en ressentais aucune, mais une grande angoisse.  Je n'osai rien dire à la bonne d'enfants, qui était à quelques pas de là, m'effondrai sur le banc le plus proche et y restai assis, incapable de jeter encore un regard sur le doigt.  Enfin je recouvrai le calme, regardai le doigt en face, et voila qu'il était tout à fait indemne."[25]     

 

Nous avons par ailleurs signalé, après Lacan, que l'Homme aux loups s'est trouvé dans l'impossibilité d'en parler sur le moment.  C'est ainsi que ce contenu "si massivement symbolique y doit son apparition dans le réel."[26]

 

Mais comment la parole se manifeste-t-elle dans le délire de notre sujet ?  Qu'est-ce que les mots ont à faire avec le corps?  Quel rôle jouent les phénomènes langagiers dans le développement d'une dysmorphophobie ?

 

 

 

 

Langage morcelé et recherche du sens

 

"J'éprouvais un malaise confus, que j'essayais d'attribuer à la rigidité et non à l'action d'un narcotique.  Je fermais les yeux, les ouvris.  Alors je vis l'Aleph."

 

"J'en arrive maintenant au point essentiel, ineffable de mon récit; ici commence mon désespoir d'écrivain.  Tout langage est un alphabet de symboles dont l'exercice suppose un passé que les interlocuteurs partagent; comment transmettre aux autres l'Aleph infini que ma craintive mémoire embrasse à peine ?  Les mystiques, dans une situation analogue, prodiguent les emblèmes : pour exprimer la divinité, un Perse parle d'un oiseau qui en une certaine façon est tous les oiseaux; Alanus ab Insulis, d'une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part; Ezéchiel, d'un ange à quatre visages qui se dirige en même temps vers l'Orient et l'Occident, le Nord et le Sud. (Je ne me rappelle pas vainement ces analogies inconcevables; elles ont un rapport avec l'Aleph.)  Peut-être les dieux ne me refuseraient-ils pas de trouver une image équivalente, mais mon récit serait contaminé de littérature, d'erreur."   Extrait de L'Aleph  J. Borges

 

 

 

 

 

 

"Va chier! Aller!"

"Tu es né d'une vache à lait."

"Tu es une vache à lait."

"Tu es un cheval."

"J'ai eu envie de chialer."

"Tu es un chiale."

"chie"

 

 

 

 

 

 

 

Langage d’organe : surinvestissement du moi propre

 

Ce qui nous est paru singulier chez ce malade est sa façon  de se servir du langage et comment ce processus semble intimement lié a sa "métamorphose", son impression de transformation corporelle. 

 

Dans un retour aux processus premiers, le désinvestissement d'objet dans la schizophrénie inclut l'apparition d'un surinvestissement du moi propre.  Selon Freud, l'altération du langage suit une désorganisation particulière devenant souvent une forme de "langage d'organe" différent de la conversion hystérique en ce que les mots subissent certaines des mêmes transformations que dans le rêve.

 

Mais il importe de suivre le développement de Freud pour comprendre bien le sens plein de cette expression.  Freud reprend  les dires d'une malade de Tausk pour expliquer cette formulation : "Les yeux ne sont pas comme il faut, ils sont tournés de travers". Selon Freud, "elle explique elle-même ses propos, dans un langage cohérent, en lançant une série de reproches contre le bien-aimé : "Elle ne peut pas du tout le comprendre, il semble à chaque fois différent, c'est un hypocrite, un tourneur d'yeux, il lui a tourné les yeux, maintenant elle a les yeux tournés, ce ne sont plus ses yeux, elle voit maintenant le monde avec d'autres yeux."

 

"Les déclarations de la malade sur son incompréhensible discours ont la valeur d'une analyse; car elles contiennent l'équivalent de ce discours sous une forme d'expression communément compréhensible; elles nous introduisent en même temps sur la signification et la genèse de la formation de mots chez le schizophrène.  En accord avec Tausk, je fais ressortir de cet exemple le fait que la relation à l'organe (l'oeil) s'est arrogée la fonction de représenter le contenu tout entier.  Le discours schizophrénique présente ici un trait hypochondriaque, il est devenu langage d'organe."[27]

 

Avant de continuer, remarquons deux choses.  Premièrement, Freud indique la relation du corps dans la formation des néologismes, et deuxièmement, la représentation de mot devient une représentation de chose par un processus métonymique où la partie représente le tout.

 

Freud souligne la prévalence, dans toute la chaîne de pensées, des éléments qui ont pour origine le corps (ou plutôt la sensation de celui-ci).

 

Lacan dira, à la suite de Freud, que le matériel du discours se rapporte au "corps propre", la relation à celui-ci "caractérise chez l'homme le champ en fin de compte réduit, mais vraiment irréductible de l'imaginaire."[28]

 

Notre sujet fera le même emploi du langage.  Il dit : "J'ai le visage dévisagé",   expression similaire à l'exemple que prend Freud, "tourneur d'yeux".

 

Les mots sont les choses

 

Bien que dans la schizophrénie les mots soient soumis à l'élaboration par des processus psychiques primaires, Freud dit que ce processus diffère du rêve où les représentations de choses y sont soumises.  Ainsi dans la schizophrénie la circulation "libre" entre les investissements de mots du système préconscient (Pcs) et les investissements de choses du système inconscient (Inc) est "coupée", ce qui diffère du travail du rêve où cette circulation reste non entravée.[29]

 

Freud précise, dans la schizophrénie : "C'est la prédominance de la relation de mot sur la relation de chose.  Entre l'expression d'un comédon et une éjaculation du pénis, il n'existe qu'une bien mince analogie quant à la chose; elle est encore plus mince entre les innombrables pores à la surface de la peau et le vagin; mais dans le premier cas, de tous les deux quelque chose jaillit, et pour le second, la formule cynique : un trou est un trou, est valable mot à mot.  C'est l'identité de l'expression verbale et non la similitude des choses désignées qui a commandé la substitution.  C'est là où les deux éléments -- mot et chose -- ne se recouvrent pas que la formation de substitut schizophrénique s'écarte de celle des névroses de transfert".[30]  

 

Dans l'exemple clinique de Freud, le malade en question, "joue son complexe de castration tout entier au niveau de sa peau."[31]  Chez notre sujet, il en va de même.  Dans sa question : "Est-ce que j'ai des trous dans le visage ?",  nous observons le résultat de cette "identité d'expression verbale" où les pores de sa peau équivalent au vagin.  Il réagit de façon significative contre cette formulation en refusant par exemple, d'utiliser les lotions proposées pour sa peau sous prétexte qu'on le prendrait pour une femme.  Par ailleurs, il demande : "Est-ce que j'ai une tête de pédale?", formation réactionnelle semble-t-il, employant une appellation courante de l'homosexualité.

 

La structure du rêve du schizophrène

 

Cependant, ces phénomènes n'apparaissent pas isolément.  Ils sont complexes.  Avant de chercher à comprendre plus loin leur fonctionnement, nous remarquons que les comparaisons entre le rêve et la psychose sont fréquentes dans l'oeuvre de Freud.  Celui-ci modifie peu à peu cette conception.  Il précise dans "Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité", que dans la paranoïa, le rêve peut être séparé du délire et montrer le contenu refoulé concernant l'homosexualité, ou encore, le paranoïaque peut critiquer son délire dans son rêve.  Freud conclut que le rêve n'est ni hystérique, ni obsessionnel, ni paranoïaque mais "une forme de pensée, une métamorphose de la matière préconsciente de la pensée par le travail du rêve et ses conditions".[32]

 

Donc, selon Freud, la structure du rêve et du délire sont différents.  L'inconscient semble être chez le schizophrène comme non déformé, comme coupé du préconscient, mais en rêve qu'en est-il ?  Sans cette dernière réflexion de Freud au sujet des pensées du rêve nous trouverions que notre malade soulève un paradoxe métapsychologique. En particulier, son récit du rêve n'apparaît pas être "schizophrénique".

 

Ainsi il lui est apparu en rêve la même idée délirante que la veille mais avec une consonance tout autre où apparemment les pensées inconscientes n'étaient plus coupées des pensées préconscientes.  Il disait : "J'ai rêvé que j'étais repoussé du visage," au lieu de dire : "J'ai le visage repoussé", comme ses propos courants qu'il tient quand il parle de ses expériences auprès des autres : "J'ai le visage dévisagé".  Etre repoussé du visage pourrait être une expression de la pensée inconsciente, être repoussant.  Cependant il n'a jamais employé cette dernière formulation.  Cette pensée inconsciente ne semble donc pas être différente du refoulé d'un névrosé.  

 

Nous nous interrogeons sur cette subtilité qui nous amène au coeur du problème;  D'où vient cette idée au malade qu'il ressemble à une vache à lait, le visage dévisagé, troué ?  Comment un tel "langage d'organe" peut-il se former ? Se défend-t-il contre ces idées ? Si oui, quel processus met-il alors en place ?

 

Il nous est apparu intéressant d'étudier dans un premier temps le délire de notre sujet pendant la période féconde pour élargir notre compréhension de ce qui pourrait être son "image" au-delà de ce qui apparaît dans sa question quotidienne.

 

La densité du langage (Langue-age)

 

Parmi les phénomènes du délire se trouve une qualité langagière qui nous semble être donnée au début essentiellement par sa densité propre, par le rapprochement homophonique des mots : "On m'a pris pour un lion par l'adjectif trop parfait de moi, pour ma clé, mon échappé, ma naissance, mon accident.  Je suis l'adjectif parfois, je refuse tout traitement, je suis un mage, une étoile, l'échappé, je suis un peu un pur, un adjectif parfait. Je me bats depuis un an avec mon visage, mon image, quand j'étais encore dément, je n'étais pas encore démantelé par la doctrine." etc. 

 

De ces propos, nous pensons comprendre  que le sujet parle de sa naissance, de sa maladie, de ses croyances.  Cependant au début il n'était pas question d'une dysmorphophobie. Et ce qui nous a frappé, c'était la répétition de certains phonèmes qui semblent faire "moteur" pour la suite du discours.  Par exemple, le phonème (age) qui réapparaît six fois dans cette séquence parlée, en "adjectif", "mage", visage", "image".  Cependant, s'il est question de naissance, il ne semble pas être question d'âge ou d'atteindre sa majorité.

 

Or notre sujet dit avoir ressenti des changements en lui-même déjà lorsqu'il était en prison, à partir de son dix-huitième anniversaire.  Le signifiant[33] (age) semble déterminer, au moins en partie, l'expression de sa maladie et son rapport avec son visage.  Nous avons par ailleurs observé chez ce sujet, dans les cinq jours précédents son anniversaire, une recrudescence d'acné et de plaques érythèmes, vécue avec beaucoup d'angoisse.  A noter également le passage à l'acte violent avec un infirmier qui a eu lieu pendant la même semaine.

 

Cependant nous ne pouvons pas dire que ce signifiant en lui-même a été conscient.  Le sujet ne dira pas, par exemple, "dix-huit ans, c'est l'âge d'être un homme", même s'il ressent les effets.  Ce signifiant (age) apparaît comme vidé de son contenu. Il nous semble pourtant signaler la présence d'un mécanisme qui nous aidera à comprendre le fonctionnement de ce sujet.

 

Lacan souligne un phénomène analogue chez Schreber où ce sont les oiseaux du ciel, le discours des jeunes filles, auxquels le malade lui-même dit n'accorder aucune signification.[34]  Lacan dit qu'il "faut rattacher le noyau de la psychose à un rapport du sujet au signifiant sous son aspect le plus formel, sous son aspect de signifiant pur, et que tout ce qui se construit là autour n'est que réactions d'affect au phénomène premier, le rapport au signifiant."[35] 

 

Le signifiant est ainsi retenu pour faire des séries.  Le noyau de la psychose apparaît sous forme de signifiant pur, vidé du signifié, posant cependant les jalons du délire qui se construit autour.  Par exemple chez Schreber, la correspondance terme à terme d'éléments de discrimination très voisins, comme Chinésenthum ou Jesus-Christum ne sont équivalent que dans la mesure où, en allemand, la terminaison tum a une sonorité particulière.[36]

 

Et Lacan ajoute, "la promotion du signifiant comme tel, la venue au jour de cette sous-structure toujours cachée qu'est la métonymie, est la condition de toute investigation possible des troubles fonctionnels du langage dans la névrose et la psychose."[37]

 

Néanmoins, pour Schreber, ces paroles répétées, dites sans signification aucune, font surgir en lui des images, "images d'identification féminine, auxquelles il ouvre la porte, il les laisse prendre, il s'en fait posséder, remoduler."[38] Schreber "admet peu à peu que la seule façon d'en sortir, de sauver une certaine stabilité dans ses rapports avec les entités envahissantes, désirantes, qui sont pour lui les supports du langage déchaîné de son vacarme intérieur, est d'accepter sa transformation en femme."

 

Dans l'exemple que nous avons donné, notre malade fait aussi surgir en lui  des images.  Dans un premier temps, ce sont des images d'identification avec le "mage" lui-même, ce qui détermine la première métamorphose.  Dans un deuxième ou troisième temps, cette problématique du "visage" trouve son expression à partir du même signifiant (age) devenant responsable des métamorphoses du visage.

 

De cet ordre d'idées nous retenons, tout comme avec Freud, mais de façon plus précise quant à son mécanisme; en premier lieu, la manière par laquelle le langage peut donner des "images" qui trouvent finalement leur expression dans les transformations corporelles dans la psychose et, en deuxième lieu la prégnance de la métonymie dans les formations psychotiques.

 

Signalons, cependant, que chez notre malade, ces phénomènes langagiers ne sont pas encore complètement élucidés par ces remarques.

 

Les mots désamorcés

 

Il se produit chez ce sujet, par exemple, certains phénomènes qui à première vue ne semblent pas éloignés de ceux qui ont été décrits par Freud dans un chapitre de Psychopathologie de la vie quotidienne, à propos de l'oubli des noms, concernant une parole non dite par Freud qui contiendrait le secret le plus profond de son être. 

 

C'est dans la mesure où cette parole, touchant à la sexualité et à la mort, n'est pas dite que Lacan écrit que Freud, "ne peut plus s'accrocher à l'autre qu'avec les chutes de cette parole.  Ne restent que les débris.  Le phénomène d'oubli est là, manifeste par littéralement, la dégradation de son rapport avec l'autre."[39]  Ici Freud a perdu la disposition du signifiant et il se produit un "glissement entre Herzégovine et Bosnie" dont il fait l'intermédiaire de la métonymie pour trouver la réponse Trafoi, Boltrffio, Botticelli, au lieu de celui souhaité, Signorelli.  Une désintégration a lieu "jusqu'à l'intérieur du mot Signorelli qui n'y est relié que de la façon la plus lointaine -- Signor, Herr."[40] Et la phrase prononcée par un passant, "Herr, que peut-il y avoir à dire maintenant?" contiendra la pièce maîtresse du signifiant refoulé, Herr, dans cet énoncé au sujet de la mort d'un malade, devant quoi un médecin ne peut rien.

 

Notre malade nous a fourni un exemple comparable où  apparemment la disposition du signifiant est perdue.  En entretien un jour nous avons remarqué que le malade entend "dément" quand il est dit : "décidément".

 

Est-ce qu'on doit dire qu'à l'instar de l'exemple précédent, se produit un refoulement et un glissement métonymique du même type ?  Ainsi dirait-on qu'une partie du mot se trouve exclue, le déci par exemple.  En poussant cette analyse plus loin on peut même dire décide est élidé, puis le mot se recompose en décide-dément ou se déforme plus pour donner décède-dément.  Le décède sera ainsi finalement troqué contre un dément que le sujet semble plus prêt à reconnaître.  Il dit lui-même au décès d'un autre patient : "Mieux vaut avoir un figure atroce que d'être mort".  Avec un raisonnement semblable nous trouvons la formule : "Mieux vaut être dément que d'être mort."  Nous notons par ailleurs que dément, et aussi démon font partie des voix injurieuses qu'entend ce patient.

 

Bien que nous développerons cette interprétation un peu loin sans la confirmation du malade, nous ne doutons pas de ce genre de décomposition et recomposition de mot chez le schizophrénique, où depuis Le Schizo et les Langues de Louis Wolfson, nous avons appris à reconnaître que les mots peuvent être démembrés, ou dissous par morceaux ou répétés par vocable pour être désamorcés.

 

Prenons par exemple ce paragraphe relevé au hasard : "Ainsi son appétit, son hypochondrie au sujet de sa pression artérielle, son besoin compulsif d'éviter les mots anglais ou du moins de les changer instantanément en mots étrangers ayant à la fois un sens et un son similaire au mot correspondant en anglais, sa psychose en général contraignaient le malade mental à prendre de fortes mesures pour se débarrasser et pour pouvoir se débarrasser à l'instant de l'embêtant vocable anglais signifiant abréviation aussi bien que graisse (à pâtisserie), même s'il lui faudrait doubler en quelque sorte, même tripler préalablement, la première consonne (le son ch) et ainsi créer pour un instant la monstruosité : shshshortening (c'est-à-dire ayant une longue initiale, prononcée chchch), pour pouvoir enfin vraiment démembrer le vocable anglais, maintenant sans doute hideux en vérité, et l'anéantir".[41]

 

Tout le symbolique est réel

 

Il nous semble que la mort soit forclose chez notre malade et il revient dans la parole sous forme de débris, réel pour ainsi dire, parce que quand il apparaît non comme signifiant de la perte mais comme vidé du signifié.  Or, dans l'ordre symbolique, Lacan dit, "les vides sont aussi signifiants que les pleins; il semble bien (...), que ce soit la béance d'un vide qui constitue le premier pas de tout son mouvement dialectique."[42]  Qu'est-ce à dire si non que la mort, la perte doit apparaître sous une forme d'absence, c'est-à-dire représentée sous une forme imaginaire?

 

"C'est bien ce qui explique, semble-t-il, l'insistance que met le schizophrène à réitérer ce pas.  En vain, puisque pour lui tout  le symbolique est réel."[43]/[44]   

 

A ce point de notre exposé, nous croyons pouvoir qualifier le langage de notre sujet de morcelé.  Tachons d'éviter toute confusion qui pourrait résulter de la tentative de ramener cette expression en ligne directe à l'expérience du schizophrénique du "corps morcelé" bien que nous commencions à comprendre l'effet que pourrait avoir le langage sur le corps.  Par ailleurs, nous souhaitons par cette étude démontrer la raison pour laquelle nous maintenons que ce malade soit de structure schizophrénique malgré l'apparence de certains traits qui pourrait se rapporter à une paranoïa.  Cette distinction de structure en elle-même nous semble importante pour maintenir une cohérence théorique et pour comprendre pourquoi le mécanisme de projection échoue chez le sujet schizophrène.

 

Continuons notre examen des phénomènes langagiers pour préciser ce que veut dire cette expression de Lacan "tout le symbolique est réel."[45]  En effet nous rapprochons cette expression d'une autre, du même auteur qui dit ce qui a été forclos du symbolique revient dans le réel.  Démontrons par ailleurs ce qui peut-être la réitération d'un pas, au-delà d'une répétition, c'est-à-dire, qui se passe quand les vides sont pleins, ou quand aucune signification ne peut être donnée à la perte.

 

Il convient de reprendre cette étude au plus près des phénomènes hallucinatoires vécus par le malade au début de son délire.  Souvenons-nous que le sujet a entendu au début de son délire une voix qui lui disait : "Tu es né d'une vache à lait" et "Tu es un cheval".

 

Comparons cette hallucination à un commentaire de la pensée ou automatisme où est exprimé l'impératif : "Va chier! Aller!".  L'existence de cet impératif est une hypothèse que nous formulons pour le développement de notre thèse.  Cette interprétation ne semble pas provenir d'une "confusion de langues"[46] sachant que le sujet se trouve "normal" après avoir déféqué et après les propos qu'il tient : "Je suis un déchet humain."  Une partie de cette même succession de vocables se retrouve dans l'hallucination auditive et un néologisme y prend sans doute sa source : "Tu es un chial".

 

Ce qui nous sert de pivot pour faire ce rapprochement est le phonème et signifiant -- sit venia verbo -- chi, qui apparaît dans les différentes hallucinations.  Egalement se répètent les phonèmes tu, é, va, a, et .

 

Dans cette séquence parlée, une coordination phonétique apparaît où tous les niveaux de la fonction signifiante sont dénudés.  L'examen de ces phrases nous amène au plus près de ce qui donne au sujet une métaphore subjective, si l'on peut l'appeler ainsi, parce que ce n'est peut-être qu'un faux-semblant. Cette "métaphore", Lacan l'a appelée par ailleurs "une métaphore délirante"[47], distincte de la métaphore paternelle, ici forclos. Cette "métaphore subjective" participe néanmoins à une solidification de la séquence parlée.

 

Il peut paraître futile d'introduire ce que Clérambault a nommé les automatismes du langage pour étudier les phénomènes délirants de notre malade.  Outre la ressemblance homophonique par laquelle nous justifions notre introduction à cette idée, nous pouvons nous demander quel intérêt il pourrait y avoir à étudier ces phénomènes.

 

Pourtant, il nous semble que nous pourrions y reconnaître une sorte de ressort du Symbolique ou dernier "boulon" entre l'Imaginaire et le Symbolique.  Lacan dit "l'automaton,  c'est ce que pense vraiment par soi-même, sans lien à cet au-delà, l'ego, qui donne son sujet à la pensée"[48]  Il explique le fonctionnement de ces automatismes, comme étant le seul moyen pour un malade de se rattacher à l'humanisation qu'il tend à perdre.  "Le sujet qui a franchi cette limite n'a plus la sécurité significative coutumière, sinon grâce à l'accompagnement par le perpétuel commentaire de ses gestes et actes," où il peut se présentifier. [49]  

 

Métaphore subjective ? Signifiant stabilisant

 

C'est en effet, dans ce maigre reste du langage que nous trouvons la base de ce qui ressemble à une métaphore délirante, c'est-à-dire un mécanisme par lequel le signifiant et le signifié se stabilisent.[50]  Or nous savons que pour le schizophrène "tout le symbolique est réel". [51]  Nous démontrerons qu'il y a ici un problème de sémantique concernant l'utilisation du terme "métaphore" en tant que stabilisateur pour notre patient. 

 

Par ailleurs, dans la paranoïa et certains autres délires dits partielsii, Lacan définit la notion d'Un-Père qui peut subvenir à la place du Nom-du-Père comme métaphore délirante. [52] Le déclenchement de la psychose se produit quand le sujet fait appel au Nom-du-Père et n'obtient pas une réponse, puisque forclos il est exclu du registre symbolique.  Chez Schreber par exemple, c'est Dieu (Gott) lui-même qui subvient à cette place comme Un-père, fait avec les noms de la lignée réelle de Schreber; Gottfried, Gottlieb, Fürchtegott, etc.[53]  C'est ce retour dans le réel d'une satisfaction pulsionnelle ou jouissance, constituée au lieu de l'Autre qui donne son expression à la paranoïa et se reconnaît dans les formes telles que l’érotomanie, la persécution, l’interprétation.

 

Bien qu'il nous semble que notre malade fasse une tentative de mise en place d'une métaphore de ce genre dans un premier temps en la personne de son beau-père, ceprocessus échoue.  Au début de son délire il disait : "J'aurais aimé être beau-père, une femme et des gosses... quand les gendarmes sont venus jeme suis vu perdu." Or ce beau-père a terminé sa vie déchu et écrasé par un camion, peut-être amenant ainsi la notion de beau trop près de l'idée de mort. Ainsi, comme précédemment, notre sujet opte pour une position moins "dangereuse" : "Mieux vaut être atroce qu'être mort."  

 

Quoiqu'il en soit, dans le domaine des phénomènes langagiers, il nous semble qu'il y a quelque chose qui peut tenir lieu de métaphore, à savoir le signifiant chi, qu'on trouve finalement en clair dans l'impératif ou automatisme : "Tu vas chier! Aller!"  En outre, nous remarquons que ce signifiant n'est pas sans rapport avec l'être de déchet de son beau-père, tout comme son père, qui n'existe pour lui que comme cadavre. Cependant, nous aurions tort de méconnaître la présence d'un faux-semblant à cet endroit car la jouissance ne s'inscrit pas au lieu de l'Autre mais sur le corps propre du sujet.

 

C'est Freud, puis Lacan à sa suite, qui ont fait ressortir la présence du corps propre dans le champ de l'Imaginaire.  D'après Lacan : "Si quelque chose correspond chez l'homme à la fonction imaginaire telle qu'elle opère chez l'animal, c'est tout ce qui le rapporte d'une façon élective, mais toujours aussi peu saisissable que possible, à la forme générale de son corps où tel point est dit zone érogène.  Ce rapport, toujours à la limite du symbolique, seule l'expérience analytique a permis de le saisir dans ses derniers ressorts."[54]

 

Ainsi le faux-semblant dont nous avons signalé la présence, concerne ce rapport imaginaire au corps, à la limite du Symbolique mais tout de même, au moins primitivement, Imaginaire.

 

Freud ne manque pas de cerner les différents sens possibles de ce type de symbole.  Nous relevons comme titre d'exemple -- qui n'est pas sans rapport avec notre sujet -- le passage suivant de l'Homme aux Loups : "La colonne d'excrément, en irritant la muqueuse intestinale érogène, joue pour celle-ci le rôle d'un organe actif, se comporte comme le pénis envers la muqueuse vaginale et devient en quelque sorte le précurseur de celui-ci à l'époque du cloaque.  L'abandon de l'excrément en faveur (pour l'amour) d'une autre personne devient, quant à lui, le modèle de la castration, c'est le premier cas de renoncement à un morceau du corps propre pour gagner la faveur d'une personne aimée.  L'amour par ailleurs narcissique que l'on porte à son pénis ne va donc pas sans une contribution de la part de l'érotisme anal.  L'excrément, l'enfant, le pénis donnent donc une unité, un concept inconscient (...), celui du "petit", séparable du corps.  C'est par ces voies de liaison que peuvent s'effectuer des déplacements et des renforcements de l'investissement libidinal qui sont significatifs pour la pathologie et sont mis à découvert par l'analyse".[55]

 

Ainsi Freud développe sa thèse du complexe de castration par le véhicule du symbole de l'objet anal comme quelque chose détachable du corps, symbolisme qui fonctionne par déplacement, c'est-à-dire par la métonymie.  Par ailleurs, nous notons que Freud formule la castration ici comme renoncement à la faveur d'une personne aimée, ce que nous traduisons d'après Lacan, par la présence de l'Autre.

 

Cependant pour maintenir la rigueur de notre recherche nous n'entrons pas pour le moment dans la discussion du "sens" du signifiant relevé chez notre sujet mais continuerons notre analyse de celui-ci.

 

Le fort-da-da

 

Remarquons que Freud semblait indiquer une voie "structuraliste" très intéressante pour nos propos dans "Au-delà du Principe du Plaisir" puis  dans "La Dénégation", où le corps propre fournit l'expérience qui véhiculera la formation des premiers signifiants.

 

Dans ce premier texte de 1920, Freud décrit le jeu des enfants, le fort-da.  Il décrit d'une part le renoncement pulsionnel procuré par le jeu, d'autre part la compulsion de répétition.

 

Il s'agit d'un jeu où l'enfant jette une bobine liée à une ficelle au-dessus de son lit répétant le phonème fort (parti(e) en français) et il tire ensuite la ficelle pour la faire réapparaître, en la saluant d'un da (voilà en français).  Tel était le jeu répété inlassablement lorsque l'enfant attendait le retour de sa mère.  L'interprétation que Freud donna fut celle-ci : "Le jeu était en rapport avec les importants résultats d'ordre culturel obtenus par l'enfant, avec le renoncement pulsionnel qu'il avait accompli (renoncement à la satisfaction de la pulsion) pour permettre le départ de sa mère sans manifester d'opposition.  Il se dédommageait pour ainsi dire en mettant lui-même en scène, avec les objets qu'il pouvait saisir, la même disparition-retour."[56]

 

Il nous semble important de saisir ici exactement ce que l'enfant met en scène.  Par la production des phonèmes fort et puis da qu'est-ce que l'enfant symbolise ?

 

Retournons vers Lacan pour étudier son analyse de ce célèbre jeu.  Dans la répétition du jeu Freud cherchait à saisir le "vrai secret du ludique, à savoir la diversité plus radicale que constitue la répétition en elle-même." [57]

 

Par exemple, l'exigence de l'enfant d'entendre toujours exactement le même conte : "signifie que la réalisation du signifiant ne pourra jamais être assez soigneuse dans sa mémorisation pour atteindre à désigner la primauté de la signifiance comme telle."[58]

 

Lacan dit que l'effet de "maîtrise" sur l'effet de la disparition de la mère est "secondaire".  Qu'auparavant l'enfant porte sa vigilance, non pas à la porte, mais au point où elle l'a abandonné au plus près de lui.  "La béance introduite par l'absence dessinée, et toujours ouverte, reste cause d'un tracé centrifuge où ce qui choit, ce n'est pas l'autre en tant que figure où se projette le sujet, mais cette bobine liée à lui-même par un fil qu'il retient  -- où s'exprime ce qui, de lui, se détache dans cette épreuve, l'automutilation à partir de quoi l'ordre de la signifiance va se mettre en perspective.  Car le jeu de la bobine est la réponse du sujet à ce que l'absence de la mère est venue à créer sur la frontière de son domaine (...) à savoir un fossé, autour de quoi il n'a plus qu'à faire le jeu de saut."[59]

 

"Cette bobine, ce n'est pas la mère réduite à une petite boule (...)  c'est un petit quelque chose du sujet qui se détache tout en étant encore bien à lui, encore retenu.  C'est le lieu de dire, à l'imitation d'Aristote, que l'homme pense avec son objet.  C'est avec son objet que l'enfant saute les frontières de son domaine transformé en puits et qu'il commence l'incantation.  S'il est vrai que le signifiant est la première marque du sujet, comment ne pas reconnaître ici -- du seul fait que ce jeu s'accompagne d'une des premières oppositions à paraître -- que l'objet à quoi cette opposition s'applique en acte, la bobine, c'est là que nous devons désigner le sujet.  A cet objet, nous donnerons ultérieurement son nom d'algèbre lacanien -- le petit a."[60]

 

Dans cette longue citation nous retenons plusieurs idées essentielles à notre étude :

 

(1) l'impossibilité d'atteindre la primauté de la signifiance comme telle, même par la répétition de l'opération.

(2)  la secondarité du phénomène de maîtrise pulsionnelle.

(3) l'automutilation à partir de quoi l'ordre de la signifiance va se mettre en perspective, "comme cause d'une Spaltung [61]dans le sujet -- surmonté par le jeu alternatif, fort-da". [62]

(4) le développement d'un objet de la pensée, phonème, mot, etc., qui se développe à partir d'un "objet" corporel.

(5) l'origine partagée du sujet et l'objet a, c'est-à-dire que le sujet se forme en se retranchant de l'Autre, ici non encore autre, mais la Chose[63], laissant en place un reste, l'objet a.

 

Donc nous avons dans le jeu de fort-da un exemple où le sujet se met "lui-même en scène", se retranchant de l'Autre, laissant pour compte cet objet a.  Cette opération se répète jusqu'au Nom-du-Père ou métaphore paternelle, qui vient à la place de l'Autre pour accomplir la symbolisation, pour amener la castration pour ainsi dire, sur le plan du symbolique.  C'est dans la forclusion de cette métaphore que Lacan trouve la condition essentielle à la psychose.

 

"C'est le défaut du Nom-du-Père," dit Lacan, "à cette place qui par le trou qu'il ouvre dans le signifié amorce la cascade des remaniements du signifiant d'où procède le désastre croissant de l'imaginaire, jusqu'à ce que le niveau soit atteint où le signifiant et signifié se stabilisent dans la métaphore délirante".[64]

 

Chez notre sujet une opposition du même type que dans le jeu fort-da se met en place via son propre corps.  Nous trouvons l'évidence du développement de cet objet de la pensée dans les phénomènes langagiers qui à première vue ne se réduisent ni à la répétition d'un vocable (où nous pouvons cerner la "réitération du pas" du mouvement dialectique dans l'ordre symbolique) ni à la découverte de sa signification.  

 

 

D’une hallucination trompeuse à un néologisme qui ne trompe pas

 

Pourtant, la présence de ce signifiant dans les hallucinations premières, "tu es né d'une vache à lait" et le néologisme,"chiale" apparaît comme "ce qui ne trompe pas". [65]

 

Lacan dit qu'un néologisme se distingue au niveau de la signification par le fait qu'il est irréductible à tout autre signification.  Contrairement à la fonction signifiante chez le névrosé qui renvoie toujours à d'autres significations, la signification du néologisme ne renvoie à rien d'autre qu'à elle-même.[66]

 

La signification du néologisme, "chiale" peut être rapprochée de l'expression argotique "chialer" que le sujet  emploie.  Ainsi ce signifiant est présent à plusieurs niveaux dans les hallucinations du sujet.  Il se présente comme "le mot de l'énigme" comme "âme de la situation" dans le néologisme et comme une "ritournelle", "formule qui se répète, qui se réitère, qui se serine (...)". [67]

 

"Ces deux formes," dit Lacan, "la plus pleine et la plus vide, arrêtent la signification, c'est une sorte de plomb dans le filet, dans le réseau du discours du sujet.  Caractéristique structurale à quoi, dès l'abord clinique, nous reconnaissons la signature du délire."[68]

 

Lacan se réfère, en l'occurrence, au délire paranoïaque où ces phénomènes apparaissent dans l'intuition délirante à la fois pleine de sens : dans le néologisme, et dans sa forme vide : les automatismes de la pensée.  Il nous semble que la signification délirante est bien soulignée chez notre malade dans ces deux formes mais s'articule d'une façon différente de la paranoïa.  Ce fait est peut-être due au phénomène structurel que Lacan a souligné : "tout le symbolique est réel" chez le schizophrène.

  

Association dissociée

 

Essayons de circonscrire ce que Lacan a appelé le point de capiton pour expliquer la structure du discours chez notre malade, structure déterminante pour le développement de cette "métaphore" subjective.

 

Le point de capiton est un processus de nouage du signifiant au signifié dans une séquence parlée.  Cette association, dit Lacan est "toujours fluide, toujours prêt(e) à se défaire".[69]  C'est le "point autour de quoi doit s'exercer toute analyse concrète du discours".[70]

 

Le point de capiton est désigné par Lacan comme le constituant élémentaire de son "graphe de désir", l'élément "par quoi le signifiant arrête le glissement autrement indéfini de la signification"[71]  Autrement dit, le point de capiton est l'élément essentiel pour qu'un discours ait une signification.  Il se définit par deux axes langagiers, celui qui contient le réseau des signifiants, déterminé par la structure synchronique, et celui qui contient le réseau des signifiés, déterminé par la structure diachronique.

 

Ce second réseau réagit dans l'après-coup sur le premier, chaque terme étant anticipé dans la construction des autres, la signification arrêtée qu'avec son dernier terme.

 

Chez Schreber, Lacan donne un exemple où la fonction diachronique du discours est perturbée par le manque du mot.  Les phrases s'arrêtent, suspendues au moment où le mot plein qui leur donnerait sens manque encore, mais est impliqué.  C'est peut-être ce qui se passe quand notre sujet entend les injures.  Il se donnerait ainsi des réponses à des phrases laissées en suspens.

 

Or il nous semble que cette structure diachronique peut être bouleversée autrement.  Quand le réseau signifiant, contenu dans la structure synchronique se dégrade au point que chaque élément ne conserve pas son emploi exact d'être différent des autres, ce glissement de la signification ne s'arrête plus.  La fonction diachronique semble fonctionner de façon aléatoire parce qu'un certain nombre de ces points de capitons "sautent" tout le long de la séquence parlée.

 

Ce cas de figure semble correspondre à la difficulté de notre malade.  Il entend une hallucination auditive : "Tu es né d'une vache à lait" ou "Tu es une vache à lait" ou parfois "Tu es un cheval" qui se métamorphose et devient "Tu es un chial" avec un néologisme.  Pour le malade cette formule n'a pas du tout la même signification que la première.  Ici, il n'a plus du tout envie de soumettre des gens à "sa doctrine".  Et la métamorphose ne s'arrête pas là.  L'automatisme d'un commentaire d'acte ordinaire, ou alors impératif prend la place de cette hallucination pour devenir : "Va chier! Aller!" et peut-être même ce processus continue jusqu'au dernier mot de base, "chie", ou encore, reste-t-il le signifiant non prononcé mais qui se résout dans l'acte?[72]

 

Désormais il nous semble que le discours de notre sujet s'organise autour de ce signifiant "chi" avec ses connotations trans-signifiant, comme un point de capiton.  "C'est" dit Lacan, "le point de convergence qui permet de situer rétroactivement et prospectivement tout ce qui se passe dans le discours."[73]

 

C'est par ce dernier signifiant où le glissement de significations possibles s'arrête, que s'organise une sorte de métaphore subjective, si l'on peut l'appeler ainsi.  Est-ce qu'il serait trop téméraire de dire que c'est par ce dernier terme que le sujet arrive à se distancer de ce réel du "trou" qui vient de cette béance laissée dans l'Autre par la perte non signifiée de l'objet a ?  En ce cas nous pourrions dire que la stabilisation emprunte chez ce patient la voie du réel plutôt que la voie du symbolique.

 

La métonymie du corps

 

Pour éclaircir ces propos, cernons de plus près la notion de métaphore.  Selon Lacan, nous découvrons dans la structure synchronique de la phrase ce qui nous porte à l'origine.  "C'est la métaphore en tant qu'elle constitue l'attribution première, celle qui promulgue "chien faire miaou, le chat faire oua-oua", par quoi l'enfant d'un seul coup, en déconnectant la chose de son cri, élève le signe à la fonction du signifiant, et la réalité à la sophistique de la signification, et par le mépris de la vraisemblance, ouvre la diversité des objectivations à vérifier de la même chose."[74]

 

 Cependant peut-on reconnaître dans l'équivalence entre ce phonème chi et l'objet a une métaphore ?

 

Précisons cette dernière remarque de Lacan.  Ce qu'il entend comme "attribution première" est pendant de la Bejahung, l’affirmation, que Freud a distinguée comme étant la condition première pour que la Verneinung, la dénégation, puisse avoir lieu. En fait la Bejahung est en quelque sorte, en opposition avec le Verwefung, la forclusion que Lacan, après Freud tient comme étant le processus par lequel un contenu est "rejeté" hors le domaine du symbolique de telle façon qu'il soit traité comme "non arrivé". Nous entrerons plus en détail sur ce point plus tard mais pour le moment soulignons que la métaphorisation n'est pas, comme on pourrait la méconnaître, le simple fait de servir des mots.  Là où le vide tient une place dans la structure synchronique chez le névrosé, chez notre patient, ce vide est comme comblé.

 

En effet le chien peut très bien être simplement un "oua-oua" et tenir une certaine place dans la symbolisation, se déplaçant par la voie de la métonymie.  Cependant est-ce que ce processus suffit pour faire le langage ?   

 

Nous répondrons en retournant au jeu de fort-da où "l'objet correspondant au représenté" sera pour la première fois "retrouvé".[75] Nous reconnaîtrons dans ce jeu une métaphorisation, un début de langage symbolique,  dans la mesure où quelque chose de "perdu" est représenté comme "parti", la métaphore paternelle donnant sens à ce qui a été perdu.  C'est-à-dire ce n'est pas en tant que phonème que le fort (parti) peut nommer ce qui est absent, c'est en tant qu'il devient symbole de ce qui est désormais perdu, l'idée de da (voilà) étant déjà comprise en ce qui est parti.

 

Avant ce moment, l'attribution concerne comme dit Freud, une qualité; si la chose est "bonne" ou "mauvaise" et si l'on peut s'identifier avec elle, dans le processus d'unification, tel que l'enfant s'identifie lui-même avec la bobine avant de donner un sens à son jeu, c'est-à-dire en se substituant à cet objet.[76]

 

Le psychotique  semble en effet faire corps avec son langage. Nous retrouvons là une reformulation de l'expression de Freud, "langage d'organe", qu'on entend bien ici dans le sens d'objet partiel, objet métonymique par excellence, qui se déplace dans le discours du sujet mais qui ne trouverait jamais sa permanence de concept hors de la présence de celui-ci dans le hic et nunc.

 

Concluons cette étude du langage chez notre malade en réaffirmant que dans son cas "tout le symbolique est réel" dans le sens où il n'y a pas de métaphorisation et où tout ce qui est symbolisé "doit son apparition dans le réel à ce qu'il n'existe pas pour le sujet", c'est-à-dire, est forclos.[77]  Précisons, cependant, qu'au dernier terme du symbolique, c'est par une forme d'identification primitive à l'objet a que le sujet a accès au  langage.  C'est par sa substitution à ce dernier que le sujet doit sa stabilisation au cours de son délire.  Il est condamné à  "réitérer ce pas"[78], vainement semble-t-il, puisque rien n'adviendra pour donner sens à ce "trou" réel laissé par l'Autre si ce n'est dans cet acte de courte durée où il puise sa certitude.  

 

De cette inscription sur le corps par le biais de l'axe métonymique du langage se forme-t-il une "image spéculaire" ?  Que peut voir dans le miroir le sujet qui se réduit à cette béance laissée dans l'Autre ou qui se substitue à l'objet a ?

 

Nous allons examiner le rapport du sujet au miroir pour préciser ce point.

 

 Image trouée

 

Claudio, rey de una tarde, rey sonado,

No sintio que era un sueno hasta aquel dia

En que un actor mimo su felonia

Con arte silencioso, en un tablado.

 

Que haya suenos es raro, que haya espejos,

Que el usual y gastado repertorio

De cada dia incluya el ilusorio

Orbe profundo que urden los reflejos.

 

J. Borges,  extrait de Los Espejos.([79])

 

 

L’appui des parties

 

Selon Lacan, "l'image spéculaire semble être le seuil du monde visible, si nous nous fions à la disposition en miroir que présente dans l'hallucination et dans le rêve l'imago du corps propre, qu'il s'agisse de ses traits individuels, voire de ses infirmités ou de ses projections objectables, ou si nous remarquons le rôle de l'appareil du miroir dans l'apparition du double où se manifestent des réalités psychiques, d'ailleurs hétérogènes."[80]

 

Lacan formulera sa première communication du Stade du miroir en 1938 dans l'Encyclopédie française dans un article commandé par Henri Wallon.  Rappelons d'emblée les termes de cet écrit.  Il y sera question des "complexes familiaux", expression associée le plus souvent avec Jung mais reprise par Lacan dans son sens freudien, c'est-à-dire comme cause d'effets psychiques.  Ici, chaque stade du moi marquera un temps de genèse dans l'organisation du sujet et sera corrélatif à un stade d'objet.  Le stade du miroir lui-même, répond au déclin du sevrage entre six et dix-huit mois et fait partie du complexe de l'intrusion ou complexe fraternel. C'est la reconnaissance par l'enfant de son image dans le miroir et il sera le moment fondateur du "je". 

 

Avant le stade du miroir, la prématurité congénitale de l'enfant, en comparaison aux animaux, sera responsable d'un stade constitué sur "la base d'une proprioceptivité que donne le corps comme morcelé"(...)[81]  Cette expérience du corps morcelé est mise à l'épreuve dans le stade du miroir dont la fonction est la neutralisation de cette sensation angoissante de morcellement par "l'assomption" de cette image comme unité, propre au sujet.

 

"Le stade du miroir est un drame," dit Lacan, dans une formulation ultérieure, "dont la poussée interne se précipite de l'insuffisance à l'anticipation et qui pour le sujet, pris au leurre de l'identification spatiale, machine des fantasmes qui se succèdent d'une image morcelée du corps à une forme que nous appellerons orthopédique de sa totalité..."[82]

 

"Ce corps morcelé (...) se montre régulièrement dans les rêves, quand la motion de l'analyse touche à un certain niveau de désintégration agressive de l'individu.  Il apparaît alors sous la forme de membres disjoints et de ces organes figurés en exscopie qui s'ailent et s'arment pour les persécutions intestines, qu'à jamais a fixées par la peinture le visionnaire Jérôme Bosch, (...)"[83]

 

Ainsi nous pourrions croire que dans la régression formelle du rêve, les représentations de mots se trouvent imagées un peu comme notre sujet les figure : "Je me suis mis dans une formidable colère et après il y a eu la métamorphose."  Cette "métamorphose" se rapporte à ce stade où il nous semble que les plus petites bribes de langage sont articulées dans un rapport de contiguïté avec le corps.  C'est ainsi que nous avons appris à comprendre la notion de "morcellement", telle qu'elle se présente dans le délire, comme "un désordre de petits a."[84]

 

Sur le schéma du bouquet renversé (fig.2)[85], nous le reconnaissons a au niveau des fleurs.  "L'analyse contemporaine", remarque Lacan, "plus spécialement, lie la maturation de ce progrès (libidinal) à quelque chose qu'elle désigne comme relation d'objet, et c'est ce dont nous soulignons la fonction guide, en la représentant par les fleurs a de notre modèle, soit par les objets même où s'appuie l'accommodation qui permet au sujet d'apercevoir l'image i(a)."[86]  "Les morceaux du corps originel sont ou non pris, saisis où i(a) a l'occasion de se constituer."

 

Ainsi en a nous trouvons une fonction d'appui qui au niveau du stade du miroir permettra au sujet d'amorcer le processus par lequel il trouvera une unité.  Figurons cet appui par la bobine, c'est-à-dire comme support qui va et vient dans le champ perceptif du sujet et sera en l'occurrence, le sujet lui-même ou les parties de son corps devant le miroir, avant de se reconnaître dans un gestalt.

 

Or Lacan nous souligne d'emblée des difficultés avec un modèle de ce type pour l'image d'a : d'une part, "le peu de naturel qui est impliqué dans la prise d'une encolure, l'imaginaire de surcroît, sur des éléments, les tiges, dont le faisceau, tout à fait indéterminé dans son lien, ne l'est pas moins dans sa diversité"[87], et d'autre part, ce modèle  n'éclaire pas plus la position de l'objet a.  "Car d'imager un jeu d'image, il ne saurait décrire la fonction que cet objet reçoit du symbolique."[88]

 

Nous avons tenté de démontrer la manière dont l'objet a s'articule dans le symbolique, bien que de façon circonscrite, ne prenant en compte que la partie qui nous a semblé la plus évidente dans cette diversité d'objets partiels. Pour faciliter notre étude nous n'avons que peu  développé la notion du rôle de l'Autre dans le développement du symbolique.  Notons que Lacan pointe que l'objet a est l'objet du désir dès qu'il fonctionne.  "Ceci veut dire qu'objet partiel il n'est pas seulement partie, ou pièce détachée, du dispositif imaginant ici le corps, mais élément de la structure dès l'origine, et si l'on peut dire dans la donne de la partie qui se joue.  En tant que sélectionné dans les appendices du corps comme indice du désir, il est déjà l'exposant d'une fonction, qui le sublime avant même qu'il l'exerce, celle de l'index levé vers une absence dont l'est-ce n'a rien à dire, sinon qu'elle est de là où ça parle."[89]

 

En effet nous ne trouvons pas de difficulté à reconnaître dans l'objet a, cet élément qui structure notre patient par sa substitution à celui-ci, même s'il lui reste toujours comme attaché par une ficelle.  Mentionnons également que la thèse développée par Winnicott concernant "l'objet transitionnel" nous paraît pertinente à cet égard.  Cependant nous n'avons que peu  progressé dans la compréhension du rôle de l'image spéculaire, qui "au seuil du visible" peut jouer dans le rapport de notre sujet à son image.

 

Catatonie fascinante

 

Puisque le mot dysmorphophobie veut dire littéralement phobie de sa propre morphologie, l'on peut considérer son corps comme d'autres objets phobiques et ainsi prendre en compte le regard.[90]

 

Le regard en question semble se rapporter à cette image dont Lacan a fait usage : le paralytique et l'aveugle.  "La moitié subjective d'avant l'expérience du miroir, c'est le paralytique, qui ne peut pas se mouvoir seul si ce n'est de façon incoordonnée et maladroite.  Ce qui le maîtrise, c'est l'image de moi, qui est aveugle, et qui le porte (...)  Et le paralytique, à partir duquel se construit cette perspective, ne peut s'identifier à son unité que dans la fascination, dans l'immobilité fondamentale par quoi il vient correspondre au regard sous lequel il est pris, le regard aveugle."[91]  Ainsi Lacan conçoit la subjectivité au niveau du moi.  Le moi, à ce niveau, est un objet qui porte et maîtrise le sujet.  Cette fascination, Lacan nous dit est essentielle au phénomène de constitution du moi.

 

Il nous semble que cette fascination ressemble à la réitération du pas, le relancement de la bobine, la répétition d'un phonème, que nous avons examiné par ailleurs.  En effet, c'est une sorte de blocage, plutôt dans une opposition de terreur que de complaisance, et plutôt dissymétrique.  Dans la rencontre avec le miroir, il y a une rencontre avec l'objet comme impossible, comme "en attente".

 

C'est en premier lieu par la fascination et la rencontre avec un objet comme impossible que nous fixons un parallèle entre le fonctionnement de notre patient et l'Homme aux Loups, où déjà, le dessin que celui-ci fait de son rêve nous amène à focaliser notre intérêt sur le regard. 

 

D'emblée nous notons l'immobilité de l'image, le regard des loups et les limites de la scène. "L'unique action dans le rêve était celle de la fenêtre qui s'ouvre car les loups étaient assis, tout à fait calmes, sans le moindre mouvement sur les branches de l'arbre, à droite et à gauche du tronc et me regardaient.  Ils semblaient avoir dirigé toute leur attention sur moi."[92]

 

Cette "catatonie de l'image"[93] dans le rêve et le dessin est une bonne indication du réel tel que nous l'avons présenté, d'après Lacan, sous la forme de l'objet a.  Il y a cette même immobilité d'image dans la scène du miroir chez notre malade.

 

Or Lacan définit le réel à partir d'un impossible : "l'affirmation dite universelle, universelle positive, n'a pas de sens que de définition du réel à partir de l'impossible.  Il est impossible qu'un être animé n'ait pas un phallus (propos d'Hans), ce qui (...) pose la logique dans cette fonction essentiellement précaire de condamner le réel à trébucher éternellement dans l'impossible".[94]

 

C'est-à-dire pour ne pas trébucher éternellement sur le réel il faut bien l'affirmer, même dans ce qu'il y a d'impossible, là où on s'y heurte.  La dénégation est cet effort à prendre en compte ce réel inassimilable en le dotant d'un métaphore qui le dénie tout en l'affirmant.

 

C'est l'absence de cette affirmation, la Bejahung, dont Freud, puis Lacan ont dit qu'elle coupait court à toute manifestation symbolique de la castration chez l'Homme aux Loups.[95] 

 

 En se référant toujours à l'Homme aux Loups d'après "La Dénégation", Lacan dit "le sujet n'éprouvera pas un sentiment moins convaincant à se heurter au symbole qu'il a à l'origine retranché de sa Bejahung.  Car ce symbole ne rentre pas pour autant dans l'imaginaire. Il constitue, nous dit Freud, ce qui proprement n'existe pas; et c'est comme tel qu'il ek-siste, car rien n'existe que sur un fond supposé d'absence. Rien n'existe qu'en tant qu'il n'existe pas."[96]

 

Le réel dans le regard

 

C'est en effet la Bejahung, l'affirmation qui se pose comme constituant du jugement d'attribution qui est lui-même la condition préalable au jugement d'existence.  Néanmoins, ce n'est pas en tant que rejeté que ce symbole sera pour autant évacué durablement de l'être.  Reprenons cette discussion dans l'oeuvre de Freud, où sur ce point il dit, "Un refoulement est quelque chose d'autre qu'un rejet."[97]  La castration "simplement rejetée", "ce en quoi le jugement sur la réalité de celle-ci ne faisait pas encore question, était certainement encore et toujours susceptibles d'être activé."[98]  Et Freud démontre comment ce contenu rejeté, forclos, est activé et revient dans le réel avec l'exemple de l'hallucination du doigt coupé de l'Homme aux Loups.

 

C'est ce même contenu qui surgit dans un délire "à forme hypochondriaque" chez ce dernier[99] Ruth Mack-Brunswick, son deuxième analyste, écrit : "Il était absolument désespéré.  On lui avait dit que l'on ne pouvait rien faire à son nez parce que ce nez était en réalité en parfait état : alors il ne pouvait plus continuer à vivre dans cet état de mutilation irréparable.  Il exprimait ainsi à nouveau la plainte qui était revenue au cours de toutes ses maladies antérieures : enfant, quand il souillait ses culottes et se croyait atteint de dysenterie; jeune homme, quand il eut contracté la gonorrhée; enfin dans un si grand nombre de situations ultérieures de son analyse chez Freud.  Cette plainte, qui contenait le noyau de son identification pathologique à la mère, était : Je ne puis continuer à vivre ainsi (so kann ich nicht mehr leben). Le voile de sa maladie antérieure l'enveloppait complètement.  Il négligeait sa vie et son travail quotidien, absorbé qu'il était, à l'exclusion de toute autre chose, par l'état de son nez.  Dans la rue, il se regardait dans toutes les devantures; il avait un petit miroir de poche qu'il sortait pour se regarder toutes les cinq minutes.  Il se poudrait le nez, l'instant d'après il commençait à s'inspecter de près, enlevant la poudre.  Puis il examinait les pores, pour voir s'ils s'élargissaient, pour saisir en quelque sorte le trou en cours de croissance et de développement.  Alors il se repoudrait le nez, rentrait le miroir et l'instant d'après recommençait.  Sa vie était concentrée dans le petit miroir qu'il portait dans sa poche et son sort dépendait de ce que celui-ci lui révélait ou de ce qu'il allait lui découvrir." [100]

 

De ce texte de R. M. Brunswick concernant l'Homme aux Loups, nous relevons plusieurs points analogiques aux phénomènes de notre patient :

 

(1)  Le rapport du sujet au signifiant.  C'est-à-dire non seulement sa plainte y revient mais elle revient toujours sous la même forme et dans les mêmes mots.

 

(2)  La  réapparition du voile chez l'Homme aux Loups qui nous intéresse pour des nombreuses raisons que nous verrons plus loin.  Freud nous le décrit : "sa plainte principale était que le monde était pour lui enveloppé dans un voile ou qu'il était séparé du monde par un voile.  Ce voile ne se déchirait qu'à ce seul moment où, lors du lavement, le contenu de l'intestin quittait l'intestin -- et il se sentait alors ainsi de nouveau bien portant et normal".[101]

 

(3)  La problématique du miroir, de fascination, de sidération, de répétition et de l'opposition (pour ne pas dire dialectique).  Hors cette fascination ou sidération qui nous apparaît comme blocage devant un impossible, nous avons noté chez l'un et l'autre de ces malades la répétition, le relancement que nous rapportons à une opposition qui procède toute symbolisation.  

 

Sur ce dernier point nous remarquerons que nous avons observé un phénomène apparenté chez un jeune autiste où l'enfant semblait regarder la ligne de contour que les objets faisaient avec l'espace, en basculant sa tête machinalement d'un côté à l'autre répétant l'opposition : espace/coupure.  Peut-être  saissait-il déjà à ce niveau quelque chose de la fonction du cadre au sujet de laquelle,  Lacan dit,  "si le cadre existe, c'est parce que l'espace est réel."[102]

 

Le retour du mauvais même  

 

  Quoiqu'il en soit, ce moment de va et vient devant le miroir qualifié de narcissique chez l'homme aux loups apparaît comme profondément "auto-érotique" chez notre malade.[103]

 

En effet celui-ci semble rechercher l'expérience du miroir pour vérifier une complétude, comme lui-même peut compléter l'Autre  (pas encore Autre) dans un rapport plutôt métonymique.  C'est dans le miroir où il croit pouvoir trouver sa vraie place, annihilant ainsi l'altérité d'une opposition.  Dés qu'il quitte le miroir, il  sera comme guetté par ce membre fantôme qu'il croit retrouver dans le miroir.

 

Serge Léclaire dans son article intitulé:"A propos de l'épisode psychotique que présenta l'Homme aux Loups", développe plus en détail le concept primitif symbolique de cette "petite chose pouvant être détachée du corps" que nous avons souligné par ailleurs.

 

Il nous dit : "Si ce rejet (le bol fécal) est en effet symbolique, c'est dans la mesure où il représente l'expérience d'une sorte de bipartition d'enfantement auto-érotique et non point (comme cela peut le devenir secondairement dans certaines circonstances) comme une médiation".[104]

 

"Cette distinction nous paraît cependant capitale car c'est à son niveau, (...) que nous pouvons reconnaître le prototype expérimental de l'altérité profondément narcissique, duelle, purement imaginaire (...) née d'une expérience de création autogène sur le mode d'une bipartition, qui aboutit au concept de l'autre comme partie de soi-même, et d'autre part, l'altérité tierce, primitivement symbolique, dont le modèle est l'image, hautement symbolique du pénis."[105]

 

Cette "altérité imaginaire" est la conséquence de ce que Freud a souligné comme étant le plus primordial chez l'être vivant, c'est-à-dire une opposition qui sera formalisée dès la première métaphore mais qui existe comme primitivement symbolique dans cette production "dérisoire" de ce tiers objet narcissique.

 

Ainsi si "cet autre, partie de soi, restera fondamentalement ce qu'il est, le mauvais même"[106] c'est parce qu'il y a quelque chose dans cette expérience telle qu'elle se présente  chez notre sujet et chez l'Homme aux Loups comme tentative d'expulser, un Ausstossung primitif qui ne sera pas métaphorisé. "Le moi-plaisir originel", dit Freud, "veut s'introjecter tout le bon et jeter hors lui tout le mauvais.  Le mauvais, l'étranger au moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui tout d'abord identique."[107]

 

"L'éternel retour du même"[108] se présente ainsi comme éternel retour du même réel, dans cet acte où le sujet trouve sa certitude.  "Le niveau anal est le lieu de la métaphore", dit Lacan.([109])  Cependant ici il nous semble que nous ne parlons pas encore d'une métaphore mais d'objet de substitution ou, à la limite, objet d'une identification primitive, et en tous les cas un faux-semblant du sujet.

 

Par ailleurs, le voile de l'Homme aux Loups  nous semblait fournir une articulation encore plus étroite entre cette bipartition première, en l'occurrence les enveloppes qu'accompagne l'enfant à la naissance, et le regard.

 

En effet, le voile apparaît pour la première fois, après que l'Homme aux Loups, encore très jeune, contracte la gonorrhée.  Ce voile que Freud reconnaît bien comme étant lié à cette atteinte narcissique sera rattaché au le voile de naissance, par association, à l'expression de l'homme aux loups "coiffe de bonheur" et désigné par Freud comme étant une expression d'un désir de rencontrer le père lors du coït.[110]

 

Or nous reconnaissons dans ce voile un autre exemple de retour dans le réel.  Réel visible où nous pourrions figurer ce voile comme reste qui s'est accolé au moment de la "schize de l'oeil et du regard".  C'est-à-dire, au moment où, de la pulsion scopique émerge le regard comme objet de désir, comme objet cause de désir, objet a.  Nous utilisons volontairement ce terme "figurer".  Il concerne avant tout, chez ces sujets, un signifiant forclos qui fera retour dans le réel.  Lacan dit, "Au niveau de la dimension scopique, en tant que la pulsion y joue, se retrouve la même fonction de l'objet a qui est repérable dans toutes les autres dimensions."[111]

"L'objet a est quelque chose dont le sujet, pour se constituer, s'est séparé comme organe.  Ca vaut comme symbole du manque, c'est-à-dire du phallus, non pas en tant que tel, mais en tant qu'il fait manque.  Il faut donc que ça soit un objet -- premièrement, séparable -- deuxièmement, ayant quelque rapport avec le manque."[112] Autrement dit, pour que l'objet a fonctionne comme symbole du manque, comme objet du désir, il faut qu'il soit séparable, et non séparé.

 

Et Lacan continue dans ce même texte, "au niveau scopique, nous ne sommes plus au niveau de la demande, mais du désir, du désir à l'Autre.  Il en est de même au niveau de la pulsion invocante, qui est la plus proche de l'expérience de l'inconscient."[113]  Le regard appellerait déjà à lui le désir, semble-t-il, avant que cet objet soit séparé du sujet.

 

Faute d'éléments nous ne saurions aller très loin dans une recherche sur le "matériel" langagier de l'Homme aux Loups mais il nous semble que nous nous retrouvons ici devant un phénomène qui ressemble fort à celui que nous avons décrit chez notre sujet, c'est-à-dire le sentiment qu'a chacun de ces sujets d'être "normal", ou de se voir normalement, après avoir déféqué.  Ce phénomène  nous amène à parler plus en détail de l'objet du regard, et de comprendre la castration à ce niveau.

 

La mise en scène du fantôme

 

Remarquons aussi la connexion entre le stade anal et la scoptophilie qui devient apparent au cours du "complexe d'intrusion".[114]  Pourtant chez l'Homme aux Loups et chez notre sujet il semblerait que cette articulation apparaisse dès qu'il y a cette bipartition des enveloppes embryonnaires à la naissance où chez ce premier nous trouvons une image de ce reste.

 

Ce reste sera l'objet, témoin d'une perte que Lacan appelle l'objet a.  C'est un reste au sens de la division, cet autre dernier est "la preuve et la seule garantie en fin du compte de l'altérité de l'Autre".[115]  Il correspond à une petite réserve libidinale non-investie au niveau de l'image spéculaire qui reste cependant investie profondément, irréductible selon Lacan, au niveau du corps propre, au niveau du narcissisme primaire, au niveau de l'auto-érotisme.[116]

 

Le phallus est associé à ce reste sous une forme négative que Lacan note (-δ) pour indiquer son rapport à l'image comme "coupé de l'image spéculaire"[117] et donc non représenté au niveau Imaginaire, c'est-à-dire dans le schéma du bouquet renversé au niveau de l'image virtuelle en a, il n'apparaît rien

 

Lacan représente cette qualité de non-spécularité, comme la structure du regard d'après Maurice Merleau Ponty le fait, en référence à l'Homme aux Loups.  C'est-à-dire, comme un doigt de gant qui se retourne, ou comme "cross-cap" dans la topologie lacanienne.  L'intérieur et l'extérieur étant identiques, il n'y a pas d'image spéculaire.[118]/[119]

 

Ainsi au niveau du regard cette qualité de non-spécularité de a devrait être la plus évidente.  Pourtant, comment comprendre l'expérience de notre sujet qui, nous l'avons dit reste investi totalement pour ainsi dire au niveau d'a, où nous remarquons que a n'est pas encore représenté comme perdu? Et comment comprendre l'expérience de l'Homme aux Loups qui voit le monde à travers ce voile ?

 

Pour comprendre ces phénomènes nous allons nous référer à l'oeuvre de Freud : "L'inquiétante étrangeté" où il explique et la représentation du double.

 

Freud définit ce concept de double d'après un des contes d'Hoffmann, où surgissent des personnages d'une "inquiétante étrangeté".  Le double "était à l'origine une assurance contre la disparition du moi"[120], un "démenti énergique de la puissance de la mort"[121] et il est probable que "l'âme "immortelle" a été le premier double du corps."[122] "La création d'un tel dédoublement pour se garder de l'anéantissement a son pendant dans une mise en scène de la langue du rêve qui ainsi a exprimé la castration par redoublement ou multiplication du symbole génital".[123]

 

Dans le rêve et puis le dessin de l'Homme aux Loups, la multiplicité des loups sur les branches, eux même multiples, illustre bien ce point. C'est cette même "présence phallique"[124]  qui est déterminante dans le traumatisme de ce dernier.  "Chacun sait", dit Lacan, "que malgré qu'il soit présent, visible sous la forme d'un fonctionnement du pénis, ce qui frappe dans l'évocation de la réalité de la forme fantasmée de la scène primitive, c'est toujours quelque ambiguïté concernant justement cette présence."[125]

 

Or Lacan souligne que cette multiplicité des phallus est une ambiguïté commune avec la non-spécularité de l'objet a.[126]   Il décrit ainsi le phénomène du double comme a, donnant l'exemple de l'expérience de Maupassant quand vers la fin de sa vie il commence à ne plus se voir dans le miroir, "où qu'il aperçoit dans une pièce quelque chose qui lui tourne le dos et dont il saisit immédiatement qu'il n'est pas sans avoir un certain rapport avec ce fantôme, quand le fantôme se retourne, il voit que c'est lui". Ainsi se représente l'entrée de a dans le monde du réel, "où il ne fait que revenir."[127]

 

Revenons au voile de l'Homme aux Loups.  Est-ce que ce voile ne serait pas un équivalent du double ? En fait, Freud lui-même fait le rapprochement, rapportant en exemple le sentiment d'inquiétante étrangeté à la crainte "d'être enterré en état de léthargie".[128] Il dit que l'origine de ce fantasme n'est autre que le fantasme de vivre dans le sein maternel, interprétation qu'il donne du voile de l'Homme aux Loups.[129]

 

Ce voile, que nous figurons comme reste de ce qui tient à l'oeil au moment de la schize, nous intéresse parce qu'il semble nous démontrer de la façon la plus saisissable ce retour dans le réel du a qu'on croit reconnaître chez notre sujet.  Celui-ci ne parle pas de voile, peut-être parce qu'il n'était pas né avec une "coiffe de bonheur". Cependant, il voit quelque chose, ou l'absence de quelque chose, en l'occurrence des "trous", qui ont par ailleurs beaucoup à voir avec les "trous" de l'Homme aux Loups.  Or la problématique de l'Homme aux Loups est maintenue dans un rapport à l'Autre.

 

En effet, le délire de l'Homme aux Loups sera dit "partiel", de forme "hypochondriaque".iii  Tout en affirmant que le dommage  infligé par un dermatologiste, en l'occurrence le Docteur X., n'était que trop apparent, il critiquait sa réaction à ce sujet, la trouvant anormale.  Son délire, s'il se déclenche d'une manière analogue à notre patient, se distance de celui-ci par le fait que notre sujet est incapable de critiquer sa croyance.  Par ailleurs, en opposition avec l'Homme aux Loups, l'idée qu'il a pu contracter ces "trous" par la faute d'un autre, ne fournira pas la base d'un thème de persécution.  En effet cette idée délirante ne serait que très peu enrichie par d'autres éléments.

 

Les "trous" que "voit" notre sujet, qu'est-ce que c'est ?  Pour répondre sans ambivalence, retournons à la structure du regard où Lacan note "la préexistence au vu d'un donné-à-voir".[130]  Il nous donne l'exemple des ocelles, ces manifestations mimétiques que présentent certains insectes pour nous démontrer cette fonction du regard comme tâche qui sera ici à fasciner, à paralyser un prédateur ou victime qui vient les regarder.

 

Or les formes imaginaires des rêves ne sont rien d'autre, que ces tâches, multipliées.  Elles prennent alors une qualité d'omnivoyeur, elles nous regardent de partout.

 

Lacan nous dit au sujet de l'Homme aux Loups, "l'essentiel dans la révélation de ce qui apparaît à l'Homme aux Loups par la béance préfigurant (...) celle de la fenêtre ouverte, ce qui apparaît dans son cadre identifiable en sa forme à la fonction même du fantasme sous son mode le plus angoissant, il est manifeste que l'essentiel n'y est pas de savoir où est le phallus; il y est, (...) partout identique à ce que je pourrait appeler la "catatonie de l'image" : l'arbre, les loups perchés qui (...) regardent le sujet fixement, il n'est nul besoin de chercher, du côté de cette fourrure cinq fois répétée dans la queue des cinq animaux, ce dont il s'agit et qui est là dans la réflexion même que l'image supporte d'une catatonie qui n'est point autre chose que celle même du sujet, de l'enfant médusé, fasciné par ce qu'il voit, paralysé par cette fascination au point que ce qui dans la scène le regard et qui est en quelque sorte invisible partout, nous pouvons bien le concevoir comme une image qui n'est rien d'autre que la transposition de son état d'arrêt, de son propre corps ici transformé dans cet arbre (...) "arbre couvert de loups".[131]

 

Le sens de la plainte du sujet "j'ai le visage plein de trous" est ainsi éclairci : il est dans ce regard aveugle mais omnivoyant d'être absolu qui fait cette multiplicité de trous, de tâches, de phallus; une multitude de petit a, non-spécularisés sur le plan imaginaire, mais qui revient dans le réel comme trous qui le regardent de partout.

 

Notre sujet nous dit lui-même qu'il ne se reconnaît pas : "Je ne sais pas ma naissance, j'aurais voulu me voir naître les yeux ouverts".  Mais comment aurait-il pu se voir, même son image dans le miroir, quand le regard n'est pas encore schizé de l'oeil, quand son oeil ne peut s'accommoder sur l'image virtuelle.  Il nous demande, perplexe : "Est-ce que je suis aveugle ?"  Il est non-voyant en tout cas à ceci : "l'élision de la castration au niveau du désir en tant qu'il est projeté dans l'image." [132] Ici, nous pouvons dire que la castration retrouve son sens freudien en ce qui concernait Oedipe qui, nous le rappelons, s'est crevé les yeux quand il s'est enfin reconnu.

 

Peut-être notre sujet voit-il un miroir vide qui lui tourne le dos tel qu'un double, se retournant pour voir une dépouille trouée ?  Tel  Hamlet qui voit le spectre de son père, dans le désespoir qui l'incarne, notre sujet dit : "J'ai tué mon père et je suis dans la glace".  Ainsi, ce signifiant primordial qui a été rejeté, surgit, figé comme fantôme troué, dans l'image spéculaire. 

 

Lacan, en pointant le mérite d'une recherche de ce déterminisme des schizophrènes, remarque un trait saisissant chez les mères de ceux-ci.  L'enfant porté par une telle mère n'était pour elle "rien d'autre qu'un corps diversement commode ou embarrassant, à savoir la subjectivation de a comme pur réel".[133]

 

Ainsi nous imaginons la mère de ce sujet, enceinte et endeuillée, pour ne pas dire encombrée et littéralement emmerdée par cet enfant au moment où il allait entrer au monde.

 

L’angoisse encadrée

 

Avant de conclure ce chapitre concernant l'image spéculaire de notre sujet, nous voulons faire quelques remarques.  Il peut paraître étonnant que notre sujet passe autant de temps devant le miroir, devant un tel "cauchemar".  Nous avons dit que son angoisse était massive.

 

Or Freud dit que cette angoisse est un signal à la limite du moi.  Au stade du miroir, avec la conjonction de la parole, le désir émerge dans une confrontation avec l'image.  "Lorsque cette image qui a été décomplétée, se complète, lorsque la face imaginaire qui était non intégrée, réprimée, refoulée surgit, alors," dit Lacan, "l'angoisse apparaît."[134] C'est là où nous reconnaissons la présence d'a.

 

Dans la psychose, ce n'est pas encore un a en tant que reste abhorré de l'Autre, mais une chose qui constitue un danger pour le Moi.  "C'est la structure même de ces objets qui les rend impropres à la moïsation."[135]

 

Pour articuler les phénomènes de dépersonnalisation plus clairement, Lacan dit : "ce n'est pas parce que ce qui est vu dans le miroir est angoissant que cela n'est pas proposable à la reconnaissance de l'Autre, qu'une relation s'établit dont l'enfant est trop captif pour que le mouvement de retour vers l'Autre comme caractéristique du stade de miroir soit possible.  C'est le fait qu'ici "la relation duelle pure dépossèse, (...) le sujet de cette relation au grand Autre."[136]

 

Nous pouvons confirmer ce que nous avons dit plus haut concernant la recherche de complétude que fait le sujet dans son expérience du miroir.  Son angoisse tient au fait de la "présence de la chose", présence d'a, mais faux a chez le psychotique.  Le miroir, ou plutôt le cadre de ce miroir, en tant que limite du réel, fait limite à l'angoisse.

 

Ce cadre participe à une unification, forme primitive de la Bejahung ou l'affirmation.  Au stade du miroir, c'est l'Autre qui prend cette fonction de cadre, donnant ainsi sens à l'expérience de reconnaissance que l'enfant fait devant cette scène.  Chez notre sujet "le miroir de l'Autre" est tout autre.  Nous étudierons ces effets dans le chapitre suivant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le miroir de L'Autre.

 

 

O God, I could be bounded in a nutshell and count myself a king at infinite space, were it not that I have bad dreams. 

Hamlet, II, 2.  William Shakespeare

 

L’invidia

 

 

En guise d'introduction à son complexe d'intrusion, Lacan reprend Les Confessions, I, VII, de Saint Augustin à propos de la jalousie. Il nous dit que ce thème doit être interprété prudemment.  En effet, la jalousie fraternelle, se fonde sur l'identification, sur un sentiment de l'autre. "J'ai vu de mes propres yeux, dit Saint Augustin, et bien observé un tout-petit en proie à la jalousie : il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait."[137]

 

"L'image du frère non sevré n'attire une agression spéciale que parce qu'elle répète dans le sujet l'imago de la situation maternelle et avec elle le désir de la mort.  Ce phénomène est secondaire à l'identification."[138]  Cependant, l'identification dans le stade du miroir où l'imago du double est central est un monde narcissique qui "ne contient pas autrui."  Au départ de ce stade, le sujet ne se distingue pas de son image virtuelle.  L'introduction d'un tiers objet constituera une "intrusion narcissique" où le sort de la réalité va être joué.[139]  C'est le mécanisme selon lequel l'enfant va connaître un semblable.  Cependant, la perception de celui-ci ne suffit pas à rompre l'isolement affectif du sujet.

 

Ce n'est peut-être pas exact de dire, dans le cas de notre sujet, qu'autrui n'existe pas.  Précisons ce point par l'examen de l'invidia, mot que Lacan nous dit venir de videre et qui sera responsable du regard "amore conspectu", d'un regard amer, qui décompose le petit sujet regardant son frère de lait, et fait sur lui-même l'effet d'un poison.

 

"Pour comprendre ce qu'est l'invidia dans sa fonction de regard, il ne faut pas le confondre avec la jalousie."  Ce que le petit enfant, ou quiconque, envie, ce n'est pas ce dont il pourrait avoir envie.  L'envie est  provoquée par la possession de biens qui ne seraient, à celui qui envie, "d'aucun usage et dont il ne soupçonne même pas la véritable nature".[140]

 

Elle fait pâlir le sujet devant l'image d'une complétude qui se referme," dit Lacan, "et de ceci que le a, le a séparé à quoi il se suspend, peut être pour un autre la possession dont il se satisfait, la Befreidigung."[141]

 

C'est dans le champ scopique où se définit proprement l'invidia, que notre sujet, voyant les autres malades, supportant très mal leurs soins, se plaignant toujours qu'ils passent avant lui, est confirmé dans sa position de déchet.  Or s'il passe en premier, tout lui semble différent.  Nous pensons en effet qu'il s'agit effectivement d'un sentiment de perte, sentiment qui s'annule quand on s'occupe de lui mais qui est aussitôt remplacé par l'angoisse, par le sentiment qu'on jouit de lui.

 

Lacan rapporte à cette phase du stade du miroir les effets de transivitisme observable chez les enfants ayant un écart d'âge très réduit, deux ou trois mois maximum, qui se confondent avec leur image à ce stade. Un enfant pleure parce qu'un autre tombe, un enfant esquisse un geste et l'autre le termine, etc.  Pourtant la discordance caractéristique de cette phase contribuera à la formation du moi.  "Mais" dit Lacan, "avant que le moi affirme son identité, il se confond avec son image qui le forme, mais l'aliène primordialement." [142]

 

Nous ne pouvons que nous arrêter devant cette expression de l'identification au semblable, qui dans un premier temps procède dans un rapport de contiguïté au stade du miroir. L'expérience quotidienne de notre malade s'en rapproche beaucoup.  Sa demande aux autres semble tourner autour des questions, "est-ce que je suis le même que toi ? Ou est-ce que je suis autre ?"  Ce transitivisme semble être présent quand à sa sortie de prison il avait "envie de faire la peau des arabes", envie semblable à l'invidia du stade du miroir qui rejoint le sentiment d'avoir sa propre peau trouée.

 

 

 

 

Passage à l’acte

 

Ce comportement devient particulièrement remarquable lors des passages à l'acte agressifs du sujet, qui semblent être chaque fois le résultat d'une situation d'angoisse intenable, provoquée par son propre geste repris en miroir par un autre, donc par la perception du double.  Dans son article, "L'agressivité en psychanalyse", Lacan développe ce thème d'une gestalt propre à l'agression chez l'homme.  Le sujet tendu vers l'agressivité est poussé vers une extériorité constituante.  En effet, c'est dans le stade du miroir que le sujet s'identifie à la Gestalt visuelle de son propre corps.

 

C'est cette captation par l'imago de la forme humaine qui domine la dialectique du comportement de l'enfant à ce stade. "Il y a là une sorte de carrefour structural, où nous devons accommoder notre pensée pour comprendre la nature de l'agressivité chez l'homme et sa relation avec le formalisme de son moi et de ses objets.  Ce rapport érotique où l'individu humain se fixe à une image qui l'aliène à lui-même, c'est là la forme d'où prend origine cette organisation passionnelle qu'il appellera son moi."[143]

 

Il nous semble que le rapport du malade au miroir et aux autres peut être rapprochée de ce moment du stade où "le je se précipite en une forme primordiale, avant qu'il ne s'objective dans la dialectique de l'identification à l'autre et que le langage lui resitue dans l'universel sa fonction du sujet." [144]

 

Cependant il faut souligner que chez lui, ce n'est peut- être qu'au moment de ces passages à l'acte agressifs qu'il se précipite en une forme, en une gestalt; expulsion tout à fait en rapport avec l'autre moment où ce sujet "se reconnaît", c'est-à-dire, au moment où il passe à la selle, dans une sorte d'acte inaugural.

 

Or nous avons dit que cet effort d'expulsion était un effort à expulser un mauvais même.  Notre sujet nous dit en effet qu'en rêve il est "repoussé du visage", tentative qui explique son désir à repousser cet a sous forme de déchet, et éloigner pour ainsi dire les pulsions de mort.[145]

 

En rêve ce désir devient plus clair.  L'objet a, si présent dans le matériel même du langage est ici dissimulé.  Ici, il se fait celui qui repousse comme l'Homme aux Loups se fait loups regardants.  En rêve nous dirons qu'il essaie de repousser ce mauvais objet, cet a qui ne cesse de revenir, exorcisme qu'il tente aussi à chaque passage à l'acte agressif.

 

"Agir, c'est arracher à l'angoisse sa certitude.  Agir, c'est opérer un transfert d'angoisse," dit Lacan.[146]  Notons ce qui se passe chez notre sujet, comment se déroule la scène avant qu'il passe à l'acte.

 

Un jour, dans notre service, le malade était particulièrement préoccupé par son visage.  Un infirmier, que le malade semble apprécier, lui a proposé  de se joindre à un jeu de Scrabble avec d'autres membres de l'équipe soignante.  Le jeu a peine commencé quand une infirmière dit : "Ce jeu (je) est horrible", mot que notre malade n'a pas tardé à ramener à lui-même.  Cependant, il a continué de jouer jusqu'à ce que cette même infirmière écrive sur le tableau de jeu, "affreux", choix plus que surprenant venant d'une infirmière connaissant le patient.  Avec ce mot, le malade, trouvant cela insupportable, a renversé tout le jeu, dans un premier relâchement.

 

L'équipe soignante étant habituée à ce genre d'éclats chez ce malade, elle a simplement replié le jeu et est retournée au bureau, expliquant au patient que ce mot ne lui était pas  adressé.  Par la suite, le malade n'a pas cessé de passer devant le bureau des infirmiers, les trouvant "fainéants", "vicieux", "profitant" de l'état des malades.  Son angoisse au sujet de son visage ne cessait de croître.  Il a pensé qu'il fallait, redresser les torts, mettre de l'ordre avec cette équipe qui ne s'arrêtait pas de s'en prendre aux malades.  Il arrive vers les infirmiers et s'adressant à celle qu'il trouvait la plus insultante à son égard, dit, en retirant sa chemise : "S'il y a un homme ici qu'il se montre".

 

 Malheureusement, dans un geste qu'il croyait être de l'ordre de la plaisanterie, l'infirmier le plus apprécié du malade imite celui-ci en retirant sa propre chemise.  Sur le champ, notre malade lui  donne un coup de tête, et lui casse le nez.  Il dira après qu'il ne voulait pas se battre avec cet infirmier-là. Cependant en le voyant retirer sa chemise à son tour, il n'a pas pu réfléchir, il ne savait plus ce qu'il faisait, il a simplement agi.  Agi dirons-nous dans un acte transitif, comme en miroir. Notre compréhension de cet acte s'élargit quand on apprend que la même scène s'est déjà répétée, notamment à l'éclosion de sa psychose, quand il a vu un homme dans la rue reprendre son geste et qu'ils se sont battus.

 

L’autre-même

 

Comment comprendre ces passages à l'acte s'ils ne sont pas des tentatives d'expulser hors de lui-même cet autre-même dans un acte qui transfère l'angoisse, où il se confond mais qui le "forme" comme l'identification au stade de miroir ?

 

Rappelons que Freud construit l'hypothèse qu'enfant, l'Homme aux Loups aurait interrompu "l'union de ses parents par une évacuation de selle."[147]  Il en donne plusieurs significations, particulièrement, celle d'un don.

 

Cependant S. Leclaire remarque que ce sens est secondaire à celui d'une "bipartition imaginaire".[148]  Et à noter que la castration, dans son sens premier a une seule marque, l'angoisse : "Il est  bien évident qu'on ne saurait en détacher le signe de l'intervention de l'autre comme tel; cette caractéristique en réalité lui ayant toujours, et depuis le début, été affectée, c'est donc l'autre qui menace de castration."[149]

 

 C'est bel et bien la reconnaissance d'un autre, menaçant pour ainsi dire, parce qu'il est autre, qui amène le sujet à se distancer de cet objet a, ce déchet, ce reste.  Or chez notre sujet ce déchet ne se maintient pas comme autre.

 

Pourtant, il semble s'identifier par moment aux autres hommes et il semble penser qu'être un homme veut dire aller au café, boire et tenir l'alcool, jouer au tiercé.  Nous reconnaissons ici un processus qu'Hélène Deutch a appelé : "comme si".  "C'est un mécanisme de "compensation imaginaire" de l'Oedipe absent, qui lui aurait donné la virilité sous la forme, non pas de l'image paternelle, mais du signifiant, du Nom-du-Père.", dit Lacan.[150]  Ce processus est évident chez notre sujet dans la période prépsychotique où il essaie de conquérir la typification de l'attitude virile de son milieu par l'intermédiaire d'une imitation de ses camarades, avec des cambriolages, l'alcool, les "bagarres".

 

Souvenons-nous à cet endroit que notre malade a un nom qui est homophonique à un mot qui a un sens précis.  Faire comme si  pour lui a un sens d'appartenance particulier et quand il entendra des voix, elles seront souvent des ".....voix", néologisme composé du mot voix et du nom de sa ville.

 

Nous pensons que c'est ainsi[151] que notre sujet découvre la femme, notamment la prostituée, événement directement précédant le déclenchement du délire.  Pendant la période féconde il s'exprimera ainsi : "Voulez vous que je sois la frite, je vous l'ai entendu dire".  "Maryse aussi veut que je sois la frite, bagarreur quoi c'est pour ça que je ne sais plus où j'en suis; je ne sais pas si je veux devenir social avec la famille, la pêche ou marginal, en redevenant la frite."  En effet, notre sujet nous  dit d'une façon claire qu'il n'a pas pu faire plus qu'une imitation à l'autre et qu'à cause de cela il est tombé malade.

 

Nathaniel Ross reformula ce concept, des "as if" personnalités: "The basic traumata appeared to center about the failure to find objets for cathexis.  The process of identification had not progressed beyond the early stage of imitativeness, which may be regarded as a precursor of identification rather than identification in the actual sense of the word.  Such identification had never been consolidated, for lack of a constant, affectively charged object, and there had been a consequent failure of internalization.[152]/[153]

 

Nous avons déjà décrit cette forme d'identification chez notre sujet.  Il fait comme si il était un homme, par exemple quand il joue au tiercé.  Cependant, ce processus d'imitation procède par voie de  contiguïté.  Rappelons son hallucination : "Tu es un cheval" à la suite de laquelle il affirmait : "Je suis un cheval, je suis un jeu(je) de cheval".  Cette "passion" à jouer au tiercé semble donc fondamentalement liée au signifiant que nous avons découvert.  Cette substitution médiocre est maintenue par l'échec de l'identification à l'Autre, dû à la forclusion du signifiant primordial, le Nom-du-Père.  Que ce signifiant soit trouvé au lieu de l'Autre n'est pas étonnant compte tenu du fait que le trésor des signifiants est toujours le lieu de l'Autre.[154]

 

Résumons le développement de l'identification au stade du miroir dans la "Remarque sur le rapport de Daniel Lagache", où Lacan modifiera le schéma du bouquet renversé de Bouasse pour expliquer non seulement ce qui est illusoire dans la réalité du sujet et le développement des tendances constitutives du monde mais aussi pour distinguer les différents niveaux de narcissisme.

 

Le premier niveau se rapporte à l'image corporelle indiquée dans le modèle par la réflexion dans le miroir sphérique.  Ce modèle indique assez bien le peu d'accès qu'a le sujet à son corps, qu'il "imagine comme un gant qu'on puisse retourner."[155]   Le sujet à ce stade donne sa propre forme à son Umwelt, le monde ambiant, et il sera à l'origine du moi idéal (Idaelich), ia) dans le schéma.

Au deuxième niveau du narcissisme se situe l'idéal du moi (Ich ideal), i'(a) dans le schéma.  Il s'agit d'une identification narcissique à l'autre.  La place de cette instance se situe au niveau du miroir plan.  Lacan nous dit que l'accès définitif à i'(a) se résout en un constant transitivisme.  Dans le schéma, figure 3,[156] cette notion est figurée par le miroir A qui peut basculer jusqu'à 180°.  Ainsi la position de l'Autre imaginaire peut être altérée, voire effacée transformant alors l'image du sujet.

 

L'intérêt premier de cette démonstration pour nous est la figuration de la place de l'Autre.  Celle-ci est nécessaire pour que l'identification soit acquise.  En effet, c'est par le regard de l'Autre, initialement la mère, que l'image dans le miroir prend son sens.  Or, comme Lacan nous dit : "On aurait tort de croire que le grand Autre du discours (en l'occurrence le père) puisse être absent d'aucune distance prise par le sujet dans sa relation à l'autre, qui s'oppose comme le petit, d'être celui de la dyade imaginaire...Car l'Autre où le discours se place, toujours à la triangulation qui consacre cette distance, ne l'est pas tant qu'il ne s'étale jusque dans la relation spéculaire en son plus pur moment dans le geste par quoi l'enfant au miroir se retournant vers celui qui le porte, en appelle du regard au témoin qui décante, de la vérifier, la reconnaissance de l'image, de l'assomption jubilante, où certes elle était déjà."[157] 

 

Pour notre sujet il est clair que ce grand Autre est forclos.  Rien ne viendra assurer que l'image qu'il voit est la sienne si ce n'est un regard capricieux comme celui de ces miroirs dits de sorcière et une voix qui le confirme comme étant un déchet.  Il n'aura donc pas une identification à son image spéculaire.  Celle-ci ne sera pas cautionnée par l'Autre.  C'est comme si dans le montage optique son oeil était situé en dehors du cône formé par une génératrice joignant chacun des points de l'image  en i'(a).  Le peu de rapport qu'il peut avoir avec l'autre reconnu comme autre, est dans l'agressivité transitive.

 

Le père de la préhistoire personnelle

 

Chez notre sujet, la présence de l'Autre lui reviendrait dans le réel sous forme de voix.  Nous pouvons dire que chez lui ce miroir de l'Autre sera un sort de miroir interne, le surmoi.

 

Freud conçoit le surmoi comme une "sédimentation dans le moi"[158] des premières identifications parentales de la phase orale primitive de l'individu. Derrière la naissance du surmoi, dit Freud, se cache la première et plus importante identification de l'individu : "l'identification au père de la préhistoire personnelle".  "Celle-ci tout d'abord semble n'être pas le résultat ou l'issue d'un investissement d'objet; c'est une identification directe, immédiate plus précoce que tout investissement d'objet."[159]

 

Selon Freud : "Le père de le préhistoire personnelle" est à entendre dans son sens général, comme père et mère, étant donné qu'à ce stade "père et mère ne se voient pas accorder une valeur différente."[160]

 

Souvenons-nous que la mère de notre sujet avait une voix "tonitruante".  En elle-même cette expression paraît expliquer pas mal de choses.  En ce qui concerne son beau-père, rappelons non seulement qu'il était incestueux, transgressif des lois les plus fondamentales mais aussi il a terminé sa vie, ivrogne, déchu de ses droits de père.  Notre malade lui fait particulièrement des reproches pour avoir "engueulé" sa mère "sur son lit de mort".  Avec les confusions langagières que fait notre sujet, nous ne pouvons qu'imaginer ce que ce terme engueulé représente pour lui.  Pouvons-nous concevoir ici une scène originaire traumatique, secondairement originaire si l'on peut dire, qu'élide l'Imaginaire, s'inscrivant du Symbolique, directement sur son corps, suivant les processus  décrits précédemment ? 

 

Il lie lui-même ces termes entre eux : "J'ai lâché ma frite dans les bordels parce que je ne me connaissais pas.  Je me suis trouvé moins beau parce que je me retrouvai des trous sur la gueule, comme maintenant."

 

Quoiqu'il en soit, nous savons que les parents de notre sujet ont maltraité celui-ci et lui ont fait mener une existence précaire.  Leurs influences prennent comme toujours est le cas, une expression persistant dans le surmoi.  Celui-ci a une position particulière par rapport au moi qui tient en partie de la faiblesse et de la dépendance qui était jadis la position du moi. Bien que le surmoi "soit accessible à toutes les influences ultérieures, il conserve pourtant tout au long de la vie le caractère que lui a conféré son origine dans le complexe paternel, c'est-à-dire la capacité de s'opposer au moi et de la maîtriser (...) 

 

De même l'enfant subissait la contrainte d'obéir à ses parents, de même le moi se soumet à l'impératif catégorique de son sur-moi".[161]

Or le surmoi reste en permanence proche du ça et pour cette raison, nous dit Freud, reste plus éloigné de la conscience que le moi[162]  bien qu'en partie toujours accessible à celui-là à partir de ces représentations de mot.[163]

 

Dans son article "L'inquiétant étrangeté", Freud dit que le phénomène de double a ses origines dans le narcissisme originaire.  "La représentation du double ne disparaît pas nécessairement avec ce narcissisme originaire, car elle peut recevoir des stades d'évolution ultérieurs du moi un nouveau contenu.  Dans le moi se spécifie peu à peu une instance particulière qui peut s'opposer au reste du moi qui sert à l'observation de soi et à l'autocritique, qui accomplit le travail de la censure psychique et se fait connaître à notre conscience psychologique comme "conscience morale".  Dans le cas pathologique du délire de surveillance, elle est isolée, dissociée du moi par clivage(...)"[164]

 

Donc pour Freud le double aura une relation avec ce qui deviendra la conscience morale, c'est-à-dire ce qu'on reconnaît comme futur surmoi.  Nous trouvons ainsi une autre façon d'exprimer ce double comme un objet intériorisé qui sera reconnu par certains malades comme étant une altérité extérieure, observatrice et critique.

Le surmoi et les voix

 

Lacan dit que le tu qui "parle tout seul", le tu qu'entend le psychotique vient du surmoi qui "voit tout, entend tout, note tout," exprimant par le tu son mode de relation avec le ça. "Ce surmoi est bien quelque chose comme la loi, mais c'est une loi sans dialectique, et ce n'est pas pour rien qu'on le reconnaît(...) avec ce que j'appellerai sa neutralité malfaisante."[165]

 

Ces impératifs, nous les reconnaissons comme étant les impératifs issus des relations parentales, relations qui ne vont pas de soi au terme de leur intégration dans le surmoi.  C'est-à-dire, dans le surmoi, une injonction parentale peut se trouver transformée en son contraire.

 

"Le surmoi n'est pas simplement un résidu des premiers choix d'objet du ça," dit Freud, "mais il a aussi la signification d'une formation réactionnelle énergique contre eux.  Sa relation au moi ne s'épuise pas dans le précepte : tu dois être ainsi (comme le père), elle comprend aussi l'interdiction : tu n'as pas le droit d'être ainsi (comme le père), c'est-à-dire tu n'as pas le droit de faire tout ce qu'il fait; certaines choses lui restent réservées."[166]

 

C'est ce que nous constatons chez notre sujet.  Déjà dans l'énonciation : "Tu es une vache à lait", il y a une ambivalence pour le patient.  Cette confusion ne fait que s'accroître.  Notons la différence entre la voix qui annonce : "Tu es né de la peur" et les voix qui lui l'appellent : "sadique", "vache", dément".  Il semblerait que dans le premier cas s'agit une voix qu'incite à la transgression, une sorte de défi.  Dans le deuxième précepte, ce sont des reproches, des sortes d'accusations.

 

Ces voix il les attribue généralement à n'importe qui dans son entourage.  Cependant, pendant la période féconde de son délire il pensait qu'elles provenaient de "ces gens", en l'occurrence les habitants de sa cité HLM qui lui parlaient par "le système" de sa "doctrine".

 

Freud pensait que le surinvestissement des représentations des mots était une première tentative qui visait à ramener l'investissement libidinal aux représentations d'objet.[167] Le sujet lui-même indique cette voie dans ces mots : "On m'a mis une doctrine sur ma tête pour que je demeure un bonhomme", démontrant aussi la persistance de cette recherche dans le discours de l'Autre, d'un  signifiant qui lui est désormais perdu, auquel il n'accède que de façon inadéquate, par voie métonymique.

 

Pendant un moment, il disait qu'on le traitait de "sadique" parce qu'on lui attribuait des actes qu'il n'aurait pas commis (d'avoir fait mal aux enfants, d'être le père de l'enfant de sa soeur) propos qui démontrent bien par leur culpabilité régnante la relation du surmoi aux voix.

 

En effet l'ambivalence de ces voix semble être en partie liée au problème incestueux dans cette famille.  Même avant l'intégration du surmoi, un tyran ou "hors la loi" trônait déjà chez notre sujet.

 

Nous avons longuement analysé l'énonciation : "Tu es une vache à lait", dans les chapitres précédant.  En percevant cette voix notre sujet était envahi d'un sentiment d'irréalité.  Il disait qu'il pensait que cette énonciation voulait dire qu'il était un être "irréel".

 

Or Lacan dit :  "Quand le sentiment d'étrangeté porte quelque part, ça n'est jamais du côté du surmoi -- c'est toujours le moi qui ne se retrouve plus, c'est le moi qui se croit à l'état de double, c'est-à-dire expulsé de la maison, tandis que le tu reste possesseur des choses."[168]

 

Nous avons dit que cette énonciation se réduisait ou se reformulait pour être l'injonction : "Va chier! Aller!", par l'exécution de laquelle le sujet expulse l'objet auquel il se substituait, dans une  forme d'identification primitive.  Cette injonction semble se ramener en dernière ligne, à une sorte de défense, une dernière attache entre le Symbolique et l'Imaginaire  -- un "trognon de parole"[169] Pouvons-nous dire simplement que le sujet repousse entièrement ainsi, ce double, ce corps étranger, ce surmoi chaotique,  et  comprendre le surmoi en tant qu'héritier des premières identifications du ça, comme fonctionnant autour de cet axe Bejahung/Ausstossung, affirmation/expulsion ?

 

Lacan souligne une insuffisance entre l'opposition intérieur/extérieur dans ce domaine.  Pour cerner au plus près la référence qu'apporte Freud au langage[170], il développe le concept de la voix comme objet détachable, comme a, qu'il rattache au surmoi mais en référence à ce champ d'énigme qu'est l'Autre, en tant que l'Autre sera le lieu du registre Symbolique, le lieu de "souvenir", de "pacte".[171]

 

Les voix ainsi seront comparables aux rugissements de Dieu qui attend qu'on se souvienne de lui et qui revient chez notre sujet dans le réel.

 

Un dilemme narcissique

 

Ainsi nous pouvons comprendre pourquoi les voix surgissent au moment où la prostituée aurait signalé à notre sujet que pour lui "c'est gratuit".

 

A ce moment là -- une énigme telle que le sphinx l'a posée à Oedipe surgit pour notre sujet : "Qu'est-ce qu'un homme ?"  Bien évidemment, puisque tout dans ce domaine est forclos pour notre sujet, il ne peut répondre.  L'Autre ou l' "autre-même" réel surgit à ce moment-là.  Réclamant quoi ?  "Sa livre de chair".

 

Avec tout le problème du corps que développe notre sujet, problème directement lié au symbolique; nous pouvons dire que le sujet entend payer sa dette.[172]

 

Or la notion de dette est empruntée à l'expression de Lacan : la dette symbolique. Cependant, pour que cette dette soit symbolique, le sujet doit perdre cet objet a auquel il restera très attaché via le désir et la Loi. C'est toute la différence entre le sacrifice de sa chair, tel Abraham qui amène son fils sur l'autel et l'offrande d'un substitut: l'agneau. Cet événement est commémoré par le Haggadah, indiquant par là sa relation persistante à Dieu et à la Loi.[173] Pour notre patient, l'objet a n'existe pas en tant que résidu, en tant que substitut. Notre sujet s'offre entièrement à l'Autre de la jouissance, un autre même.

 

Tantôt le sujet se substitue d'emblée à ce que l'Autre lui réclame, ce déchet, l'objet a. Croyant éviter la "vengeance divine" [174], il devient l'objet de sa jouissance, s'abolissant comme sujet.  Tantôt il se sacrifie comme l'Homme aux Loups, enfant, dans cet acte dérisoire où il évacue enfin ce  "mauvais même".[175]

 

Dans le cas de notre sujet, l'objet a en tant que modèle de ce "corps étranger", internalisé bien que inadéquatement, puis expulsé à l'extérieur, paraît correspondre suffisamment pour décrypter la résolution du délire. L'articulation de l'objet a avec l'Autre en tant que lieu d'énigme, lieu du "trésor des signifiants" nous permet de comprendre pourquoi le délire se déclenche à ce moment et de déchiffrer le sens de ses formations.

 

  Le miroir de l'Autre se constitue finalement par l'intégration de la parole de l'Autre particulièrement aux stades oraux.  Or aux stades primitifs un grand Autre n'est pas encore reconnu.  Etant donné que notre sujet ne "progresse" que très peu depuis ces premiers stades, le miroir comme les voix est fragmenté.  L'Autre provenant de plusieurs sources, plusieurs autres, revenant sous la forme d'une "figure féroce", issue des expériences les plus ravageantes, les plus fascinantes, que nous pouvons lier aux traumatismes primitifs du sujet.  L'Autre qui jouit finalement de lui, n'est que lui-même, dans une sorte d'horreur d'une jouissance par lui-même ignorée[176], où il n'a que le cadre du miroir et son identification substitutive à ce déchet pour faire limite. 

 

 

 

IV. Conclusion.

 

En guise de conclusion nous voulons faire ces dernières remarques et soulever quelques questions.

 

Nous constatons le peu de ressources que possède ce malade pour se défendre contre ses idées délirantes de transformation corporelle. Néanmoins, la saisie métonymique des objets partiels par le langage montre en quoi notre sujet n’est pas hermétique aux effets thérapeutiques où la parole se trouve prise enfin dans une vraie dialectique. Bien que nous n’ayons que mentionné sa demande à dormir faite au médecin, ne pouvons nous dire que c’est par la modulation de celle-ci que l’on voit les effets d’une thérapeutique positive ?

 

Quoiqu’il en soit, nous avons remarqué une certaine oscillation entre deux pôles inégaux chez notre sujet : l’un où il s’identifie à l’autre et il s’y ressemble, l’autre où il est alors dispersé, jusqu’à ce qu’il se substitue au déchet. 

 

Son identification à l’autre reste néanmoins de forme très primitive et sera plutôt circonscrite : soit dans l’acte de bipartition où cette altérité se détache et est expulsé de lui-même, soit à travers l’invidia, son identification à l’autre où il se trouve reflété. C’est l’incapacité d’associer durablement cet objet détachable à un Autre qui est déterminante quant à la structure de son délire, la distinguant d’une paranoïa, ou autre forme de délire dit partiel.[177]

 

Nous voyons dans ces deux formes d’expulsion le résultat du sadisme primitif ; une tentative d’éloigner les pulsions de mort par l’influence de la libido narcissique. C’est pour cette raison qu’elle ne devient manifeste qu’en se rapportant à l’objet reconnu comme autre, ou autre-même.

 

Le retour de ces pulsions sadiques sur le moi propre va tendre à morceler le sujet au moment de l’éclosion du délire. Nous employons le mot retour mais selon la conception freudienne exprimée dans son article de 1920, "Au-delà du principe de plaisir", la pulsion de mort est ce qui est responsable d’une homéostasis originaire, le Principe de Nirvana qui tend à réduire les excitations pulsionnelles à leur niveau le plus bas.

 

Ce point est significatif puisqu’il nous permet de concevoir la substitution au déchet comme une première tentative, aussi médiocre soit-elle, d’éloigner les pulsions mortifères. Cet effort se révèle dans la stabilisation du sujet autour des signifiants qui par voie métonymique, sont empruntés du réel. La satisfaction pulsionnelle se trouve ainsi limitée, n’allant pas jusqu’à une jouissance autiste.

 

Sa substitution au déchet donne au délire de notre sujet une allure mélancolique. Cette ressemblance ne nous étonne guère, puisque la thèse freudienne de la mélancolie dans son article de 1915, "Deuil et Mélancolie", se base sur l’idée d’un retour sur le moi propre des tendances sadiques qui visaient auparavant un objet à un Autre désormais perdu qui distingue la structure de son délire à celui d’un mélancolique.

 

Un dernier modèle intéressant provient de la thèse freudienne que le Moi est une projection, une sorte de barrière de contact ou pare-excitations contre les excitations venant du monde extérieur. Pour se défendre contre les excitations venant des sources pulsionnelles, le Moi projette, expulse à l’extérieur ces excitations, ce mauvais même. Chez notre malade, pouvons-nous dire que cette défense échoue dans la mesure où les traumatismes multiples font effraction dans cette barrière, la trouant pour ainsi dire ? Le contenu rejeté ne fait qu’alors refluer à nouveau à l’intérieur.

 

La pare-excitations étant consolidée, par les liaisons des éléments langagiers, autrement dit par la métaphorisation, nous comprenons pour quelle raison il ne peut que fonctionner de façon inadéquate chez notre malade. L’intérêt majeur de ce type de modèle pour notre étude est la relation qu’il pointe entre l’échec de la projection, les phénomènes psychosomatiques et le manque de métaphorisation. C’est par l’envahissement presque total de la jouissance au niveau du corps propre que ces phénomènes dans la schizophrénie se distancent des phénomènes parallèles d’autres structures.

 

Les phénomènes psychosomatiques se différent des symptômes hystériques en ce que ces derniers comportent une métaphorisation. Cependant il nous semble insuffisant de dire que ces phénomènes ne veulent rien dire chez le schizophrène. C’est la face réelle de la monnaie schizophrène. Le langage d’organe, trouvant son appui sur le corps propre du sujet, recèle ainsi un double, un double réel incorporé et mis en scène par le sujet dans son langage, donnant aux délires leurs accents individuels. Les autres phénomènes langagiers, telle la schizophasie, les automatismes de répétition et les mots désamorcés font partie de cette face symbolique, et il convient d’écouter au plus près l’histoire qu’ils révèlent.

Est-ce que la dysmorphophobie constitue seulement un autre aspect du vécu corporel ? En effet, dans la mesure où la sensation de transformation corporelle se développe par les voies métonymiques du langage, nous pouvons penser que ces phénomènes sont apparentés. Cependant, il nous semble que la dysmorphophobie se distingue par sa relation avec le regard. C’est par ce biais que le sujet est amené à rencontrer un autre, à entrer dans une forme primitive de dialectique, à entrevoir la castration au niveau du désir en tant qu’il est projeté dans l’image. Et c’est par le rejet du signifiant primordial que le sujet est obligé de réitérer ce pas, ne sortant pas de la fascination terrifiée de son image.

 

 

Barbara Bonneau

Mai 1992

à Fontenay-aux-Roses

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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FERENCZI, Sandor, "Confusion of tongues between the adult and the child", International Journal of Psycho-Analysis, 1949, XXX, IV.

 FREUD, Sigmund, L'Homme aux Loups, "A Partir de l'Histoire d'une Névrose Infantile", 1918, traduit de l'allemand par ALTOUNIAN  J. et COTET, P., P.U.F., collection Quadridge, 1990.

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- "La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose", 1924, in Névrose, Psychose et Perversion, Paris, P.U.F., 1985.

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-"L'inconscient", 1915, traduction dirigé par LAPLANCHE, J., et PONTALIS, J.-B., in Métapsychologie, Paris, Gallimard, collection Folio Essais, 1968.

- "Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité, 1922, in Névrose, Psychose et Perversion, Paris, P.U.F., 1985.

LACAN, Jacques, "Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la "Verneinung" de Freud", 1954, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

- Le Séminaire,I, Les Ecrits Techniques de Freud, 1953-1954, texte établi par MILLER, Jacques-Alain, Paris, Seuil, 1975.

- Le Séminaire,III, Les Psychoses, 1955-1956, texte établi par MILLER, Jacques-Alain, Paris, Seuil, 1981.

- D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose, 1959, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966..

-Le Séminaire, L'Angoisse, 

SAUSSURE, Ferdinand de, Cours de Linguistique Générale,  l'édition critique, Paris, Payot, 1980.

-WOLFSON, Louis, Le Schizo et les Langues ou La Phonétique chez le Psychotique (Esquisses d'un étudiant de langues schizophrénique), Paris, Gallimard, 1970.

 

 

 

 

 

 

i Note ajoutée en remplacement du terme original : Le nom de notre patient est homophone avec un mot qui a de l’importance pour lui, cependant, son importance n’est pas le même, comme nous verrons par la suite, que chez des sujets paranoïaques. Par conséquence, nous demandons aux lecteurs d’être indulgents sur le fait que nous ne l’indiquons pas ici pour protéger l’identité du malade.  

 

[1]FREUD, S., l'Homme aux Loups, A partir de l'histoire d'une Névrose infantile, 1918.  Traduit de l'allemand par ALTOUINAN, J. et COTET P., 1990, Paris, Quadridge, Presses Universitaires de France. p.97.  l'Homme aux Loups a consulté Freud en 1910 originairement parce que "pour lui le monde était dissimulé par un voile(...) Le voile -- curieusement ne se déchirait que dans une situation, à savoir lorsque, par suite d'un lavement, les selles passaient l'anus.  Il se sentait alors de nouveau bien et pour un temps très court voyait le monde clairement."

[2]  LACAN Jacques, "Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la "Verneinung" de Freud" in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp.392-393. Voila ce que note Lacan(dans sa thèse puis dans cet article) qui différencie le schizophrène du paranoïaque : "les structures imaginaires prévalentes; c'est-à-dire la rétro-action dans un temps cyclique qui rend si difficile l'anamnèse de ses troubles, de phénomènes élémentaires qui sont seulement pré-signifiants et qui n'atteignent qu'après une organisation discursive longue et pénible à établir, à constituer, cet univers toujours partiel qu'on appelle un délire."

 

[3]FREUD, Sigmund, " Sur les Souvenirs Ecrans", 1899, traduit de l'allemand D. Berger, P. Bruno, D. Guérineau, F. Oppenot, in Névrose, psychose et perversion, Paris, P.U.F., 1985, pp. 113-132.    Nous rappelons au lecteur que les souvenirs-écrans des névrosés sont, selon Freud des fictions inconscientes où le présent se travestit dans des images du passé grâce à un mécanisme de condensation de deux fantasmes "projetés l'un sur l'autre" donnant l'illusion d'un souvenir authentique, de la même manière que les perceptions intimes apparaissent comme venant d'une réalité extérieure.  L'acuité des détails démontre, cependant, la présence d'un processus de symbolisation procédant par des traces d'inscriptions des impressions réelles gravées dans la mémoire.

[4]Soulignés par nous.  Nous retenons cette expression dont il sera question plus tard.

[5]LACAN, J., Le Séminaire III, Les Psychoses, 1955-1956, texte établi par Jacques-Alain MILLER, Paris, Seuil, 1981, p. 218. 

[6]Ibid, p.218.

[7]Ibid, p.219.

[8]Ibid, p. 219.

[9]LACAN J., Le Séminaire, I, Les Ecrits Techniques de Freud, 1953 - 54, texte établi par Jacques-Alain MILLER, Paris, Seuil, 1975, p. 214.

[10]Ibid, p. 214.

[11]Ibid, p. 215.

[12]Ibid, p. 214.

[13]Ibid, p. 215.

[14]LACAN J., "D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", 1959, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966. p. 557.   

[15]FREUD S. L'Homme aux Loups, op. Cit., p. 43.

[16]Ibid, p. 83.

[17]LACAN J., Le Séminaire I, op. Cit., p. 54.

[18]Ibid, p. 55.

[19]FREUD S., "Complément métapsychologique à la théorie du rêve", 1917, traduction dirigée par Jean LAPLANCHE et J. - B. PONTALIS in Métapsychologie, Paris, Gallimard, collection Folio Essais, 1968, p. 137.

[20]Ibid, p. 142.

[21]FREUD S., "La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose", 1924, in Névrose, Psychose et Perversion, Presses Universitaires de France, Paris, 1985, p. 303.

[22]Ces propos sont soulignés par nous. Il en sera question plus loin, cependant, nous remarquons à présent combien cette question se rapproche celle de l'Homme aux Loups telle qu'elle est présentée par Freud dans la formule que nous avons déjà cité concernant la force pulsante du refoulement, c'est-à-dire son "narcissisme menacé". L'Homme aux Loups, op. Cit., p. 44.

[23]Soulignés par nous.  Il sera question de ces propos plus loin, mais dès à présent nous remarquons comment les mots "beau" et "gueule" sont employés en référence à l'acte sexuel.

[24]LACAN J., Le Séminaire, I, op. Cit. pp. 54-56.

[25]FREUD S., L'Homme aux Loups, op. Cit. p. 83.

[26]LACAN J., "Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la "Verneinung" de Freud", op. Cit. pp. 390 - 392.

[27]FREUD S., "L'inconscient", 1915, in Métapsychologie, op. Cit., p. 112.

[28]LACAN J., Le Séminaire, III, op. Cit., p.19.

[29]FREUD S., "Complément métapsychologique à la théorie du rêve", op. Cit., p. 134.

[30]FREUD S., "L'inconscient", 1915, in Métapsychologie, op. Cit., p. 116.

[31]Ibid, p. 114.

[32]FREUD S., "Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l'homosexualité", 1922, in Névrose, psychose et perversion, op. Cit., p. 278.

[33]Nous utilisons les expressions signifiant et signifié après Ferdinand de Saussure, Cours de Linguistique Générale, édition critique, Paris, Payot, 1980, p. 98. " Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique.  Cette dernière n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens; elle est sensorielle et s'il nous arrive de l'appeler "matérielle", c'est seulement dans ce sens et par opposition à l'autre terme de l'association, le concept, généralement plus abstrait."

"Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant, ces derniers termes ont l'avantage de marquer l'opposition qui les sépare, soit entre eux, soit du total dont ils font partie."     

[34]  LACAN J., Le Séminaire, III, op. Cit., p. 289.

[35]Ibid, p. 284.

[36]Ibid, p. 261.

[37]Ibid, p. 262.

[38]Ibid, p. 289.

[39]LACAN, J., Le Séminaire, I , op.Cit., p. 59.

[40]LACAN, J., Le Séminaire, III, op.Cit., p. 271.

[41]WOLFSON, Louis, Le Schizo et les Langues ou La Phonétique chez le Psychotique (Esquisses d'un étudiant de langues schizophréniques), Paris, Gallimard, 1970, p. 54.

[42]LACAN, J., "Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud", op. Cit., p. 392.

[43]Ibid, p. 392.

[44]Nous citons Lacan pour donner une première indication de nos pensées concernant la répartition triple du Symbolique, de l'Imaginaire et du Réel dans le langage de notre patient : "Le discours concret, c'est le langage réel, et le langage, ça parle.  Les registres du symbolique et de l'imaginaire se retrouvent dans  les deux termes avec lesquels il(Saussure) articule la structure du langage, c'est-à-dire le signifié et le signifiant". LACAN, J., Le Séminaire, III, Les Psychoses, op. Cit., p. 65.

[45]Voir supra.

[46]Titre d'un article de Sandor FERENCZI, "Confusion of tongues between the adult and the child", International Journal of Psycho-Analysis, 1949, XXX, IV, p. 225-230.

[47]LACAN, J., "D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", p. 577.

[48]LACAN J., Le Séminaire, III, op.Cit., p. 346.

[49]Ibid, p. 345.

[50]LACAN J., "D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", op.Cit., p. 577.

[51]Voir supra.

ii Notons que si la notion de délire partiel limite le champ de l’envahissement du sujet par le délire, elle ajoute à la confusion entre les structures cliniques : névrotiques et psychotiques.   

[52]LACAN J., "D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", op. Cit., p. 580.

[53]  Ibid.Lacan cite ici une remarque de Niederland qui tire l’attention sur la « généalogie délirante de Flechsig (sic) » « qui s’y transmet de père en fils et dont il donne le sens en hébreu, pour montrer dans leur convergence vers le nom de Dieu (Gott) une chaîne symbolique importante à manifester la fonction du père dans le délire.» nota bene : Cette note a été coupée lors de son écriture en 1992. Nous le rétablissons dans cette édition.

[54]LACAN J., Le Séminaire, III, op. Cit., p. 19.

[55]FREUD S., L'Homme aux Loups, op. Cit. p. 82.

[56]FREUD S., "Au-delà du principe de plaisir", 1920, Traduit de l'allemand par Pierre Cotet, André Bourguignon et Alice Cherki, in Essais de Psychanalyse, Paris, Payot, Collection Prismes, 1987, p. 53.

[57]LACAN J., Le Séminaire, XI, "Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse", 1964, texte établi par Jacques-Alain MILLER, Paris, Seuil, 1973, p. 60. 

[58]Ibid, p. 60.

[59]Ibid, p. 60.

[60]Ibid, p. 60.

[61]Ce terme est à entendre ici d'après Lacan comme la division psychique du sujet.  Or comme remarquent LAPLANCHE et PONTALIS, dans le Vocabulaire de la psychanalyse, Cf. : "Clivage de moi", Ichspaltung, pp. 67-70, Paris, P.U.F., 1967, ce concept est déjà implicitement formulé dans un certain nombre de travaux à la fin du dix-neuvième siècle.  Cette notion de division psychique se trouvera précisée avec les travaux de P. Janet, J. Breuer et S. Freud, où elle sera exprimée sous les formes successives : clivage de la conscience, clivage du contenu de conscience, clivage psychique.  C'est autour de ces expressions que la notion freudienne d'inconscient prendra sa consistance "topique", comme lieu autonome qui se constitue séparément du champ de la conscience par biais  du refoulement. Le terme Spaltung de Bleuler se voit accorder, par la psychiatrie contemporaine, le sens exclusive de "dissociation" attachée aux syndromes schizophréniques.  Dans notre étude nous adhérons à la notion freudienne, puis la notion lacanienne même si dès fois cette notion peut recouvre la notion bleulérienne.

[62]LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. Cit., p.61.

[63]LACAN, J., Le Séminaire, VII, L'éthique de la psychanalyse,  1959-1960, texte établi par MILLER, Jacques-Alain, Paris, Seuil, 1986, p. 65. "Le monde freudien, c'est-à-dire celui de notre expérience, comporte que c'est cet objet, das Ding, en tant qu'Autre absolu du sujet, qu'il s'agit de retrouver."

[64]LACAN J., "D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", op. Cit., p. 577.

[65]LACAN J., Le Séminaire de 19 Décembre 1962, consacré l'année 1962-1963 à "l'Angoisse", inédite à ce jour. 

[66]LACAN J., Le Séminaire, III, op. cit. 43.

[67]Ibid, p. 43-44.

[68]Ibid, p. 44.

[69]Ibid, p. 297.

[70]Ibid, p. 303.

[71]LACAN J., "Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien", 1960, in Ecrits, Paris, Editions du Seuil, 1966, p. 805.

[72] BROUSSE, Marie-Hélène, COTET, Serge, LEGER, Claude MATET, Jean-Daniel, MILLER Gérard, MILLER, Dominique, REGNAULT, François, SILVESTRE, Danielle, SILVESTRE, Michel, SOLER, Colette, STRAUSS, Marc, in Philosophie présente LACAN, Bordas, Paris, 1987, p.20 "Rappelons que c’est sur la base d’une distinction que Descartes fait entre l’âme et le corps, que la certitude du cogito apparaît. L’opposition de ces deux termes, âme et corps, permet l’émergence de cette certitude : je pense. Cette certitude est acquise sur la base d’une tromperie généralisée, le fait d’un "malin génie" plutôt qu’un savoir. C’est donc dans le rejet de tout savoir subjectif que survienne la vérité du "je pense donc je suis", ou dans d’autres versions, du "je suis, j’existe. " " Nous voyons que cela semble être vrai chez notre sujet, au moins dans l'instant de l'acte, où il trouve sa certitude.  Nota bene : La référence à la note originale été coupé lors de l’écriture de ce texte en 1992. Nous le rétablissons ici.

[73]LACAN J., Le Séminaire, III, op. Cit., p. 303-304.

[74]LACAN J., "Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien", op. cit. p. 805.

[75]FREUD S., "La négation", 1925, traduit de l'allemand par J. LAPLANCHE, in Résultâtes,idées, problèmes, vol.II, Paris, P.U.F., 1987, p. 138.      

[76]Ibid, pp. 137-138.

[77]LACAN J., "Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud", op. Cit., p. 392.

[78]Ibid, p. 392.

[79]BORGES, J. "Los espejos", Les Miroirs, 1960, traduit de l'espagnol par CALLOIS R., in L'auteur et autres textes, Paris, Gallimard, 1982, pp.120-125. : "'Claudius, roi d'un soir, roi que rêvant quelqu'un', 'Ne sut pas qu'il était un rêve jusqu'au jour' 'Où un acteur mima sa trahison' 'Sur une estrade, en silence, avec art.' 'Je m'étonne qu'il existe des rêves, des miroirs,' 'Et que l'habituel répertoire fatigué,' 'De chaque jour inclue l'univers' Profond et illusoire tissé par les reflets.'" 

[80]LACAN, J., "Le stade du miroir comme formateur du Je telle qu'elle nous est révélée dans l'expérience psychanalytique", 1949, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 95.

[81]LACAN J., Les Complexes Familiaux Dans la Formation de L'individu, 1938, in Paris, Navarin Editeur, 1984, p. 43.

[82]LACAN, J.,"Le stade du Miroir comme formateur du Je", op. cit, p. 97.

[83]Ibid, p. 97.

[84]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 23 Janvier 1963.

[85]LACAN, J., "Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : Psychanalyse et structure de la personnalité", 1958, in Ecrits, Paris, Seuil, p. 674.

[86]Ibid, p. 676.

[87]Ibid, p. 676.

[88]Ibid, p. 682.

[89]Ibid, p. 682.

[90]FREUD, S., Inhibition, Symptôme et Angoisse, 1926, traduit de l'allemand par Michel TORT, Paris, P.U.F., 1978. Dans ce texte nous apprenons que l'angoisse, mise en branle dans la phobie dérive d'une autre source que l'émoi pulsionnel.  Elle est liée à la perpective de réalisation d'un désir impliquant un danger précis, celui de la castration. Nous rappelons comment le phobique cherche son père dans l'animal phobique et plus particulièrement comment Freud décrit le passage du père à l'animal totémique.  Dans la dysmorphophobie  le mécanisme semble être analogue à celui des autres phobies, empruntant le signifiant des voies du Réel plutôt que l'Imaginaire.  Ainsi, le sujet sidéré devant le miroir, colmate bien son angoisse de la "bête", ou le père pulsionnel.

[91]LACAN, J., Le Séminaire, II, "Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse", 1954-1955, texte établi par Jacques-Alain MILLER, Paris, Editions du Seuil, 1978, p.66.

[92]FREUD, S., L'Homme aux Loups, op. Cit., pp. 27-28. 

[93]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 29 Mai 1963.

[94]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 19 Décembre 1962.  

[95]LACAN, J., "Réponse au commentaire de Jean Hyppolite sur le Verneinung de Freud", op. Cit., p. 387.

[96]Ibid, p. 392. 

[97]FREUD, S., L'Homme aux Loups, op. cit., p. 77.

[98]Ibid, p. 83.

[99]MACK-BRUNSWICK, Ruth, "Supplément à l'Extrait de l'Histoire d'une Névrose Infantile de Freud", 1928, in L'Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même, texte présenté par Muriel GARDINER, Paris, Gallimard, 1981, p. 302.

[100]Ibid, pp. 269-270.

[101]FREUD, S., L'Homme aux Loups, op. Cit., p. 72.

[102]LACAN, J., Le Séminaire, l'Angoisse, op. Cit., le 12 Juin 1973.

[103]Nous employons le concept d'auto-érotisme de façon plus spécifique et en opposition au narcissisme : D'après J. LAPLANCHE et J.- B. PONTALIS in Vocabulaire de la Psychanalyse, Paris, P.U.F., 1984, p. 42. L'auto-érotisme est un "caractère d'un comportement sexuel infantile précoce par lequel une pulsion partielle, liée au fonctionnement d'un organe ou à l'excitation d'une zone érogène, trouve sa satisfaction sur place, c'est-à-dire : 1° Sans recours à un objet extérieur ; 2° Sans référence à une image du corps unifiée, à une première ébauche de moi, telle qu'elle caractérise le narcissisme."  

[104]LECLAIRE, Serge, "A propos de l'épisode psychotique que présenta L'Homme aux Loups", in La Psychanalyse, p.93.

[105]Ibid, p. 93.

[106]Ibid, p. 93.

[107]FREUD, S., "La Négation", op. Cit., p. 137.

[108]FREUD, S., "Au-delà du principe de plaisir", op. Cit., p. 62.

[109]LACAN, J., Le séminaire, XI, op. Cit., p. 96.

[110]FREUD, S., L'Homme aux Loups, op. Cit., pp. 98-99.

[111]LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. Cit., p. 95.

[112]Ibid, p. 95.

[113]Ibid p. 96.

[114]Le complexe d'intrusion fait partie des complexes familiaux identifiés par Lacan. Il représente l'expérience que réalise le sujet primitif lorsqu'il connaît ses frères ou ses semblables. Le stade du miroir fait partie de ce complexe ainsi le stade anal.

[115]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 21 Novembre 1962.

[116]Ibid, le 5 Décembre 1962.

[117]Ibid, le 28 Novembre 1962.

[118]Ibid, le 9 Janvier 1963. Le cross-cap est une figure topologique adopté par Lacan comme modèle pour représenter la qualité de non-spécularité de a, difficilement appréciable par le schéma du bouquet renversé. Bien que la bande de Moebius représente cette qualité de ne pas avoir une réflexion dans le miroir à l'état potentiel, en définitive il en a une.  C'est pour cette raison et par son analogie avec le doigt du gant que nous avons retenu la première figure.   

[119]LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. Cit., p. 78.

[120]FREUD, S., "L'inquiétante étrangeté", 1919, traduit de l'allemand par Bertrand Féron, in L'Inquiétante Etrangeté et Autres Essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 237.

[121]Citation d'O. Rank par Freud, Ibid, p. 237.

[122]Ibid, p. 237.

[123]Ibid, p. 237.

[124]LACAN J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 29 Mai 1963.

[125]Ibid.

[126]Ibid, le 9 Janvier 1963.

[127]Ibid.

[128]LACAN J., Le Séminaire, I, op. Cit., p. 250.

[129]FREUD S., L'Homme aux Loups, op. Cit., p.99.

iii Notons encore que le "délire" de l’Homme aux loups est dit partiel parce que le champ de l’envahissement du sujet est limité. Cependant par l’emploie de ce terme, Mac Brunswick ne distingue pas ce délire de celui d’un psychotique. Nous ne pouvons qu’apprécier la richesse de détails associatifs ainsi que la capacité critique du sujet ainsi que l‘absence des hallucinations auditives, pour distinguer le délire de l’Homme aux loups de celui d’un Schreber, par exemple.

[130]LACAN J., Le Séminaire, I, op. Cit. p. 71.

[131]LACAN J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. cit., le 29 Mai 1963.

[132]Ibid, le 22 Mai 1963.

[133]Ibid, le 23 Janvier 1963.

[134]LACAN, J., Le Séminaire, I, op. Cit., p. 212.

[135]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 23 Janvier 1963.

[136]Ibid.

[137]LACAN J., Les Complexes Familiaux, op. Cit., p.36.

[138]Ibid, pp. 40-41.

[139]Ibid, pp. 45-46.

[140]LACAN, J., Le Séminaire, XI, op. Cit., pp. 105-106.

[141]Ibid, p. 106.

[142]LACAN, J., Les Complexes Familiaux, op. cit., p. 45.

[143]LACAN, J., "L'agressivité en psychanalyse", 1948, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 113.

[144]LACAN, J., "Le Stade du Miroir comme formateur du Je", op. Cit., p. 94.

[145]Dans son article "La Dénégation" de 1925, Freud conçoit l'expulsion  comme forme primitive de la négation.  Autrement dit, ce qui est perçu comme "mauvais" est rejeté en dehors. Précédemment, en "Au-delà du principe de plaisir", 1920, Freud a développé les notions de pulsions de vie et pulsions de mort.  Nous citons un passage de ce dernier texte : "Mais comment déduire de l'Eros, qui conserve la vie, la pulsion sadique qui a pour but de nuire à l'objet ?  N'est-on pas invité à supposer que ce sadisme est à proprement parler une pulsion de mort qui a été repoussée du moi par l'influence de la libido narcissique, de sorte qu'elle ne devient manifeste qu'en se rapportant à l'objet ?(*)  Il entre alors au service de la fonction sexuelle; au stade d'organisation orale de la libido, l'emprise amoureuse sur l'objet coïncide encore avec l'anéantissement de celui-ci; plus tard la pulsion sadique se sépare(...) En fait on pourrait dire que le sadisme expulsé hors du moi a montré la voie aux composantes libidinales de la pulsion sexuelle, celles-ci vont se presser à sa suite vers l'objet." op. Cit., p. 102. (*) Souligné par nous.

[146]LACAN J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 19 Décembre 1962.

[147]FREUD S., L'Homme aux Loups, op. Cit. p. 78.

[148]LECLAIRE, S., "A propos de l'épisode psychotique que présenta l'Homme aux Loups", op. Cit., 93.

[149]LACAN J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 29 Mai 1963.

[150]LACAN J., Le Séminaire, III, op. Cit., p. 218.

[151]Par le biais d’un mécanisme « comme si ».

[152]ROSS, Nathaniel, "The  As If Concept", Journal of the American Psycho-analytic Association, XV, 1967, n°1, p. 61.Nous traduisons : "Le trauma de base apparaît être l'échec à trouver un objet d'investissement.  Le processus d'identification n'avait pas progressé au-delà du stade de l'imitation, ce qui peut être considérée comme précurseur de l'identification au sens précis du mot.  De telles identifications n'ont jamais été consolidées, par manque d'un objet constant d'intériorisation."

[153]  Le terme "intériorisation" semble être employé à premier vue, par Ross, comme synonyme d'introjection, comme c'est le cas à l'école kleinienne. 

"C'est-à-dire du passage fantasmatique d'un objet "bon" ou "mauvais", total ou partiel, à l'intérieur du sujet." plutôt que dans son  sens plus spécifique : comme "processus par lequel des relations intersubjectives sont transformées en relations intra-subjectives (intériorisation d'un conflit, d'une interdiction, etc.) (...) On dira par exemple que la relation d'autorité entre le père et l'enfant est intériorisée dans la relation du surmoi au moi."  Ainsi cette deuxième idée est corrélative des conceptions topiques de Freud. Dans un souci de précision Laplanche remarque que ces deux sens sont liés : "lors du déclin de l'Oedipe, on peut dire que le sujet introjecte l'imago paternelle et qu'il intériorise le conflit d'autorité avec le père." Nous citons : LAPLANCHE, J. et PONTALIS, J.B., Vocabulaire de la Psychanalyse, op. Cit., p. 206. 

 Or si Ross emploie ce terme dans son sens kleinien, il semble adhérer à l'idée que le sujet ne peut introjecter que les  objets "bon".  S'il  emploie ce terme plutôt dans son sens spécifique, il ne tient pas compte de l'intériorisation possible des conflits.  En fait il s'avère que le concept de intériorisation est pris ici dans un sens très proche à celui de la métaphorisation. 

[154]LACAN, J., "Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien", op. Cit., p. 806.

[155]LACAN, J.," Remarque sur le rapport de Daniel Lagache", op.Cit., p. 676. 

[156]Ibid, p. 680.

[157]Ibid, p. 678.

[158]FREUD, S.,"Le Moi et le Ca", 1923, traduit de l'allemand par Jean LAPLANCHE, in Essais de Psychanalyse, Paris, Payot, collection Prismes, 1987, p. 246.

[159]Ibid, p. 243.

[160]Ibid, p. 243.

[161]Ibid, pp. 262-263.

[162]Ibid, p. 262.

[163]Ibid, p. 268.

[164]FREUD, S., "L'inquiétante étrangeté", op. Cit., p. 237.

[165]LACAN, J., Le Séminaire, III, op.Cit., p. 312.

[166]FREUD, S., "Le moi et le ça", op. Cit., pp. 246-247.

[167]FREUD, S."L'inconscient", op. Cit., p. 120.

[168]LACAN, J., Le Séminaire, III, op. Cit., p. 313.

[169]LACAN, J., Le Séminaire, I, op. Cit., p. 121.

[170]FREUD, S., "Le moi et le ça", op. Cit., p. 268.

[171]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 22 MAI 1963.

[172]Voir supra. Le Langage Morcelé.

[173]LACAN, J., Le Séminaire, L'Angoisse, op. Cit., le 22 Mai 1963.

[174]Ibid, le 8 Mai 1963.

[175]Ibid, le 29 Mai 1963.

[176]Nous reprenons la célèbre expression de  FREUD dans  L'Homme aux Rats, texte de 1909 Voir supra pour la distinction entre l'Autre du paranoïaque et l'Autre dans la névrose chez l'Homme aux Loups.

[177] Voir supra pour la distinction entre l'Autre du paranoïaque et l'Autre dans la névrose chez l'Homme aux Loups.

 

 



a Cette note ainsi que toute note indiquée par une lettre : a, b, c, …z , a été ajouté le 23 Janvier 2012 à l’occasion d’une révision de la site Internet http://www.les-mots-dans-l-œil.com. A cette occasion j’ai modifié la police pour être plus conforme avec le reste du site. Cette modification entraine une modification de la pagination qui devient plus importante. Cependant, aucun texte n’a été ajouté. J’ai modifié également le mot « stage »  pour lire « service » et j’ai mis en note toute référence de l’origine « universitaire » de ce travail : Ce travail est un mémoire de recherche de maitrise sous la direction de Marie-Claude Lambotte. . Il me semble que ces conclusions ont été assez « en avance » pour son époque (1991-1992) et malgré des manquements au niveau de l’orthographe ou la grammaire (je suis d’origine anglophone) ou des trébuchements au niveau des concepts, on trouve beaucoup de concepts devenus d’actualité.  Il a servit de base pour mon travail ultérieur. Autrement, cette copie est strictement conforme à la copie placée en bibliothèque en 1992. Des petites notes ont été ajoutées à l’occasion de la remise en bibliothèque de ma thèse (2001). Celles-ci concernent les explications concernant la modification de mes remerciements pour mieux protéger le patient qui a pu être retrouvé par un confrère peu soucieux de l’éthique de la protection des patients ou le droit d’auteur. Elles concernent également des corrections bibliographiques.  Sauf ces modifications, cette copie est strictement conforme à l’original.