Métaphore ou something else?

Métaphore ou something else[1]

 



Pour éclaircir ces propos, il faut d’abord approfondir la notion de métaphore. On découvre dans la structure synchronique de la phrase ce qui nous porte à l'origine. Pour Lacan, la métaphore est responsable de l'attribution première. Elle permet autre chose que l’accolement par contamination ou par condensation d’une onomatopée à une chose. De cette façon, l'enfant déconnecte la chose de son cri. Il commence à jouer avec la langue, à utiliser des sons arbitraires pour désigner des objets. Il le fait avec le mépris de la vraisemblance. Ce dédain désigne la pensée.  [1]

Cependant, peut-on reconnaître dans l'équivalence entre le phonème « chi » et l’occurrence de l'objet a ou de quelque  signifié, une métaphore? J’ai remarqué que dans Esquisse d’une psychologie scientifique et dans l’Interprétation des rêves l’attribution est liée à la fonction qualitative. Quelle pourrait être la fonction de l’attribution sans l’utilisation de la notion de métaphore ? 

Ce que Lacan entend comme attribution première est le pendant de la Bejahung (l'affirmation) que Freud a distinguée comme étant la condition première pour que la Verneinung (la dénégation) puisse avoir lieu. En fait, pour Lacan, la Bejahung est en quelque sorte, en opposition avec la  Verwerfung (la forclusion) qu’il tient comme étant le processus par lequel un contenu est rejeté hors du domaine du symbolique afin qu'il soit traité comme non arrivé. Je détaillerai ce point plus tard ; pour le moment, je souligne que la métaphorisation n'est pas, comme on pourrait le penser, le simple fait de se servir des mots. Autant chez le névrosé (même le névrosé narcissique) le vide tient une place dans la structure synchronique, autant chez le schizophrène ce vide est comme comblé.

En effet, le chien peut très bien être simplement un oua-oua et tenir une certaine place dans la chaîne verbale, se déplaçant par la voie de la métonymie. Mais est-ce que ce processus suffit pour constituer le langage ?   

Je répondrai à la question en revenant au jeu du  fort-da, où  l'objet correspondant au représenté  sera pour la première fois  retrouvé. [2] On reconnaîtra dans ce jeu une métaphorisation, un début de langage symbolique,  dans la mesure où quelque chose de ‘perdu’ est représenté comme ‘parti’, la métaphore paternelle donnant sens à ce qui a été perdu. Ce n'est pas en tant que phonème que le fort (parti) peut nommer ce qui est absent, mais c'est en tant que symbole de ce qui est désormais perdu ; l'idée de da (voilà) étant déjà comprise en ce qui est parti. L’objet a cause des effets, mais il n’est jamais retrouvé. Il n’entre même pas, a priori, dans la série de la signification chez le névrosé.

Notons que la dimension de la métaphore dépasse celle de la condensation. [3] Pour faire métaphore, il y a la nécessité d’une déconnection, la création d’un intervalle. Ma lecture implique la nécessité d’une opposition entre les termes d’une inscription primordiale, une sorte de bipolarité, ou au moins une logique d’inscription temporelle qui précède la division du sujet. Je me parmettrai ici de faire une analogie avec la division cellulaire, lors la métaphase et l’anaphase  (les chromosomes s’alignent avant la télophase où les membranes se forment autour, et la division s’accomplit). C’est comme si le petit enfant savait déjà qu’il est condamné à se soumettre à la coupure, à la division du sujet, ou alors à se complaire dans la solitude d’un hors discours.   Cette logique vaudrait alors pour tout sujet qui s’inscrit dans le langage, qu’il parle ou non. Le délire du schizophrène ainsi que l’hésitation de l’obsessionnel suit cette même logique dans un temps ultérieur. Toutefois, il ne faut pas considérer  une logique comme un noyau psychotique pour tout sujet, ni qu’elle aurait une valeur de démonstration de ce qui se passe au niveau biologique pour le sujet, ce qui serait absurde de notre point de vue.

 Pour Lacan, le terme d’inconscient fait métaphore pour les « autres savoirs »[4],  et il fait métaphore à partir de ce qu’il identifie comme coupure. Cette logique de bipartition n’est pas métaphore, mais sans elle il ne peut y avoir de coupure non plus.

Je reviendrai plus loin sur ce que Lacan identifie comme coupure afin d’en tirer les conséquences en ce qui concerne la cure avec les autistes.

Mais avant, je veux repréciser que ce que Freud a  appelé « attribution » s’applique très exactement à une qualité à partir de laquelle une chose sera jugée ‘bonne’ ou ‘mauvaise’ ; dès lors, il sera possible de s'identifier à elle, de s’unifier à elle, comme l'enfant s'identifie lui-même à la bobine avant de donner un sens à son jeu, c'est-à-dire en se substituant à cet objet.[5] Cette substitution à l’objet comporte quelque chose de l’ordre de ce manque de distance que l’on a déjà fait remarquer, et implique d’abord une corrélation entre la perception et le représentant pulsionnel.

Or la réponse hallucinatoire au besoin n’est pas un délire qui surgit à la place de l’objet du besoin. Ce qui surgit comme le dit Freud, c’est l’image mnésique de la perception dans la mémoire. L’enfant qui a faim crie ou s’agite, mais la situation reste inchangée. L’excitation provenant d’un besoin intérieur répond à une action continue et non à un heurt momentané. Il ne peut y avoir changement que suite à une intervention étrangère où l’enfant acquiert l’expérience de la satisfaction qui met fin à l’excitation interne.

« Un élément essentiel de cette expérience, c’est l’apparition d’une certaine perception (l’aliment dans l’exemple choisi) dont l’image mnésique restera associée avec la trace mémorielle de l’excitation du besoin. Dès que le besoin se re-présentera, il y aura, grâce à la relation établie, déclenchement d’une impulsion (Regung) [6] psychique qui investira à nouveau l’image mnésique de cette perception dans la mémoire, et provoquera à nouveau la perception elle-même, c’est-à-dire reconstituera la situation de la première satisfaction. C’est ce mouvement que nous appelons désir ; la réapparition de la perception est l’accomplissement du désir et l’investissement total de la perception depuis l’excitation du besoin est le chemin le plus court vers l’accomplissement du désir. » [7]

On reconnaitra dans le terme Regung, la corrélation par simultanéité de l’excitation de la trace mémorielle avec, cette fois-ci, la perception de l’objet dans la mémoire. On a remarqué avec Freud qu’il s’agit de perceptions qui sont connues par la conscience à partir d’associations verbales et, dans un premier temps, par assonance. Rappelons comment l’intensité du besoin, déterminée par la Prägung, ou frappe des signifiants, déclenche l’impulsion psychique qui régule en quelque sorte cette intensité par l’investissement d’une image mnésique associée.

L’enfant semble passer d’un jeu de la langue au discours par la corrélation des images sonores avec les objets de son propre corps, avant une mise à distance ce ceux-ci. Si l’enfant parvient à se substituer à l’objet de sa perception, quelle est la part d’investissement narcissique du moi, malgré tout désormais marquée par le signifiant, et quel est la part qui concerne l’investissement de l’objet libidinal ? A quel registre appartient cet objet ou image d’objet ? Participe-t-il à quelque chose que l’on peut appeler  métaphore  et ainsi faire entrer en jeu l’imaginaire ? Soutenir un discours nécessite bien plus que l’interprétation du réel par la langue. La création d’une image nécessite peut-être la même  articulation. Néanmoins, peut-on parler aussi des différents abords de la fonction onirique sans en rester seulement aux différentes étapes ?

 

 

 

 

 



[1]J. Lacan,  « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien », op.cit. p. 805.

[2]S. Freud,  « La négation », 1925, traduit de l'allemand par J. Laplanche, in Résultats, idées, problèmes, vol. II, Paris, P.U.F., 1987, p. 138.

[3]Note ajoutée après 2004. J. Lacan,  « Radiophonie », Autres Ecrits, Lacan donne l’exemple du « Rêve d’or », condensation de « Révolution d’Octobre ».

[4]Ajouté après le texte original de 2004. J. Lacan, « Radiophonie », 1970 in Autres Ecrits, Le champ freudien, Seuil, 2001, p. 433.

[5]Ibid., pp. 137-138.

[6]Regung : définition en allemand : mouvement ; sentiment, émotion, élan ; un accès, exemple : élan de cœur, accès  de cœur.  Freud et Lacan associent ce terme avec le désir.

[7]S. Freud, L’interprétation des rêves, 1926,1929, traduit en français par I. Meyerson, révisée par D. Berger, P.U.F. 1987, p .481.