Métonymie de la Chose



Métonymie de la Chose ?[1]

 

Chez l’Homme aux loups, ce qui a été perdu, ce qui est parti, ne serait pas métaphorisé si nous considérons qu’il y a équivalence entre la notion lacanienne de forclusion de la métaphore paternelle et le rejet de la castration conçu par Freud. Soutenir cette hypothèse conduit à considérer l’Homme aux loups comme psychotique. Or ce point de vue n’est soutenu ni par Freud ni tout à fait par Lacan. Il est cependant soutenu par beaucoup de post-freudiens [2] et beaucoup de lacaniens.[3] Par ailleurs, nous avons noté que ce qui fonctionne tout au moins comme métaphore subjective chez Michel L est équivalent à cette occurrence de l’objet a. Or que se passe-t-il donc chez l’Homme aux loups et chez Mlle M ?

Nous avons remarqué une forme de contiguïté de mots, de métonymie dans le langage concernant l’histoire de Mlle M. Ce même type de métonymie annonçant l’histoire de l’Homme aux loups se retrouve sous une forme polysémique puisque celui-ci parlait plusieurs langues. On peut distinguer la métonymie des choses de la métonymie  des mots. La contiguïté des mots ne concerne pas ici les représentations de mots mais « relève de la contiguïté lexicologique des significations diverses d’un même mot, c’est-à-dire des allosèmes, telles quelles sont répertoriées dans un dictionnaire. »[4] Dans l’analyse des signifiants chez l’Homme aux loups, on peut prendre en compte des homophones translinguistiques, celui-ci employant la même technique que Wolfson pour rechercher des homophones aux mots anglais dans les langues étrangères utilisées.

Nous prenons en considération l’homophonie dans son rapport avec la chaîne parlée. Dans ce sens la métonymie prend deux formes :

1)    des répétitions des phonèmes dans une même séquence parlée.

2)     des répétitions des phonèmes reproduites par des glissements de la chaîne des signifiants sur la chaîne des signifiés.

Pour l’Homme aux loups et Mlle M, nous n’avons trouvé que le premier type. Chez Michel L nous avons reconnu les deux types.

Ce que nous appelons la métonymie de la Chose[5] concerne l’absence de distance entre le corps de la mère et celui de l’enfant dans le sens de Maud Mannoni. D’après Lacan, cela revient à dire, une absence de différenciation des deux premiers signifiants.[6] Ce que Torok et Abraham appellent « métonymie de chose » s’apparente selon nous à la métonymie des objets. Ils utilisent également le vocable « la Chose » en relation avec le mot pour parler de ce « mot de la jouissance » non dit par l’Homme aux loups, qu’ils reconstruisent d’après de multiples interprétations pour indiquer un mot qui semble tenir la même place que celui prononcé par Michel L. Ces auteurs soulignent la présence d’un mot conscient, allosème de celui qui indique la Chose, qu’ils appellent un cryptonyme. Celui-ci peut se transformer selon eux en image visuelle. Cependant, l’image en question n’est pas le reflet en miroir mais un fantasme. Remarquons  que selon Freud, la fabrication des images de rêve et de fantasme ne nécessite pas que ce mot soit ‘connu’, bien au contraire.

Nous avons trouvé un rapport commémoratif lié à cette mise en série métonymique et un rapport de cadre où le sujet névrosé s’inscrit dans le tableau en blanc. Pour ce qui concerne la contiguïté de la Chose, qu’en est-il ? Chez l’Homme aux loups et chez Mlle M, la question de l’identification à la mère correspondant à une absence de distance (ou différenciation des signifiants)  est à souligner. Cependant, il semble que l’inscription de chacun de ces sujets en blanc, ou l’introduction d’un tiers objet (le voile chez l’Homme aux loups, le maquillage chez Mlle. M) maintienne en quelque sorte un vide ou un intervalle qui empêche la métonymie de la Chose.

Rappelons également ce « Witz » chez l’Homme aux loups dans la relation de transfert avec Freud, où la Wespe est transformée en Espe, donc ses initiales S. P. Ce signifiant, « S P », qui représente un sujet pour un autre signifiant, est la marque du sujet divisé ; le W, qui enferme quelque chose de l’être est perdu, laissant en quelque sorte un blanc.

Ces interrogations nous amènent à nous demander si les phénomènes narcissiques rencontrés dans les pathologies que nous avons appelés névroses narcissiques (d’après la définition freudienne de « Névrose et Psychose » où le conflit du sujet se situe entre le Moi et le Surmoi[7] plutôt qu’entre le Moi et le Ça dans les névroses de transfert) ne font pas simplement partie de la panoplie de toute névrose au contact avec certains signifiants qui lui sont propres. L’Homme aux loups a apporté lui-même dans une lettre une contribution intéressante à cette question le concernant : « D’un point de vue psychanalytique, on pourrait interpréter ces reproches adressés à soi-même comme un conflit entre le « moi » et le « surmoi ». A cela conviendrait très bien la remarque que vous avez faite dans votre article sur la « déformation morale » qui s’oppose à la « déformation physique » (le nez). »

L’Homme aux loups semble convenir que son rapport à la Chose et ses reproches au niveau de son nez sont plutôt de l’ordre transgressif (de côté de la jouissance), s’inclinant devant le fait que ses préoccupations au sujet de son nez comme pendant, peuvent se mettre en parallèle avec des préoccupations coupables. En dehors du fait que cette description rejoint celle de Freud au sujet de la névrose narcissique, nous sommes particulièrement frappés par une forme de lucidité de l’Homme aux loups à la fois par rapport à son ancienne dysmorphophobie mais  aussi  par rapport à son manque de culpabilité apparent à certains moments (par exemple son manque de tristesse à l’enterrement de sa sœur). De cette façon, ne tente-il pas de  donner encore un argument contre sa culpabilité, réclamant à Ruth Mack Brunswick qu’elle vienne renforcer cette idée par sa reconnaissance ? Cette position est différente de celle de la mélancolie où le sujet se reconnaît coupable et se soumet aux châtiments. [8] Ici se dessine un deuxième trait, très net, pour faire un diagnostic différentiel chez l’Homme aux loups. La faute n’est pas celle dont le sujet s’accuse, ni celle dont il accable les autres (comme au moment de sa crise dite paranoïaque) ; la faute devient celle d’une vérité que le sujet tente de contourner. Elle est néanmoins la contre-partie de ses préoccupations quasi incestueuses.

Rappelons comment le déni ou le démenti chez le mélancolique diffèrent de ceux rencontrés chez l’obsessionnel.[9] Le mélancolique est convaincu d’occuper une position d’exception et d’approcher la vérité. Cette idée permet au sujet de conclure que les choses ne valent pas la peine qu’il s’y intéresse. La vie elle-même n’a rien affaire avec lui.  Sans nier pour autant que les choses de la vie existent, il les vide de leurs attributs sensibles ou les dépossède du pouvoir qu’elles ont de susciter chez lui des affects. [10]

Dans la mélancolie, nous nous attendons à rencontrer un démenti particulier. Selon ces sujets, la castration est prise en compte pour les autres mais ne les concerne pas eux-mêmes. Chez l’Homme aux loups, nous trouvons le contraire dans sa lettre à Ruth Mack Brunswick. Il exprime tout à fait son inclination devant la castration subjective par son rapport transgressif à celle-ci. Nous repérons ainsi une dénégation à peine déguisée par le démenti (de forme obsessionnelle). Cette forme de démenti le fait rejoindre la communauté des  assujettis. Nous interprétons : « Ce n’est pas de ma « déformation morale » dont je vous parle, c’est de mon nez,  de ma « déformation physique » d’autrefois. » Encore une fois l’Homme aux loups met son symptôme au travail et se positionne dans un rapport au savoir tout à fait singulier avec son ancienne analyste. 

Nous remarquons que cette dénégation un peu curieuse située bien après la « fin » d’analyse ressemble de près à ce que Freud note comme une forme de résistance singulièrement problématique. Dans ces cas, l’amour de transfert entrave la marche de l’analyse où, au lieu de  confesser « une partie particulièrement refoulée de sa vie », « la résistance agit à la manière d’un agent provocateur, en rendant plus intense l’amour » du sujet « en exagérant son consentement au don sexuel, et tout cela dans le but de justifier plus péremptoirement l’action du refoulement en faisant ressortir tous les dangers d’un semblable dérèglement ». [11] Les dangers ne sont peut-être pas seulement ceux auxquels Freud fait allusion ici. L’évocation de l’ombre d’un désastre d’un rapport sexuel réel entre l’analyste et son analysant ne fait qu’affleurer le problème d’inceste inconscient dont au fond il est question. Ce point de résistance est révélateur de quelque chose à préserver, selon Lacan. En effet, au-delà de la résistance qui est fournie par l’analyste, la forme de démenti employée par l’Homme aux loups fait ressortir la notion d’un doute qui signe cette résistance, ainsi qu’une énigme à sauvegarder.

Lacan souligne l’ambiguïté de Freud sur la fonction du doute dans la résistance. Le doute est quelque chose qui doit aussi se montrer, mais sous la forme d’un déguisement, Verkleidung.[12] Lacan trouve ici une convergence entre les démarches de Freud et de Descartes. Le doute est l’appui de la certitude. Selon Lacan : « L’inconscient est la somme des effets de la parole sur un sujet, à ce niveau où le sujet constitue des effets du signifiant. Cela marque bien que, dans le terme de sujet —c’est pourquoi je l’ai rappelé à l’origine—nous ne désignons pas le substrat vivant qu’il faut au phénomène subjectif, ni aucune sorte de substance, ni aucun être de la connaissance dans sa pathie, seconde ou primitive, ni même le logos qui s’incarnerait quelque part, mais le sujet cartésien, qui apparaît au moment où le doute se reconnaît comme certitude—à ceci près que , par notre abord, les assises de ce sujet se révèlent bien plus larges, mais du même coup bien plus serves, quant à la certitude qu’il rate. C’est là ce qu’est l’inconscient »[13]

Pouvons-nous dire que la dysmorphophobie surgit chez l’Homme aux loups quand la résistance est vaincue ? Rappelons que la résistance est surtout pour Freud un « ne veut rien savoir sur les crimes œdipiens et la punition (ou la dette) pour celles-ci » imaginaire. Pourtant, il semble ne pas en tenir compte quand il touche à ce point dans l’analyse. C’est à ce moment là que l’Homme aux loups commence lui-même à se servir de son transfert comme pour imiter d’une certaine façon son analyste. Or, quand la résistance cède à ce niveau, la faille de l’Autre ne peut plus être recouverte par le savoir. Plus rien ne fera écran entre le sujet et la Chose. L’absence de liaison entre les restes verbaux vient faire défaut.

Considérons aussi le cas d’un enfant ayant des difficultés scolaires qui dessine la première lettre du nom de jeune fille de sa mère sur le même plan qu’un objet tranchant, homophone pour le sujet à ce signifiant. Il s’agit de la lettre C, et l’objet : des scies, figurées comme étant « enterrées ». Or le sujet se trouve par la suite dans l’impossibilité de signer par son prénom sur ce même plan du dessin, l’écrivant en deux syllabes séparées, puis après en avoir barré une ne laisse finalement apparaître que la deuxième, qui plus est déformée : vire. Le signifiant qui le représente auprès d’un autre signifiant – pour lui : X, son initiale – est ainsi barré, viré de sa présence à côté du signifiant de sa mère, peut-être un signifiant maître pour ce garçon. Il ne peut que se dessiner sous une forme de double, par la représentation de son « copain » dont le prénom commence par K dans un autre plan du dessin ; cette lettre K traduisant l’image sonore (le signifiant) de la première lettre du nom de sa mère aussi bien que l’image du semblant, ou l’image virtuelle désarticulée de la lettre X ! L’écriture des lettres X et K dans ce contexte met en évidence à nouveau que la perturbation du discours va de pair avec des altérations au niveau de l’image. Pouvons-nous supposer que la transposition « dyslexique » du semblant de la lettre soit aussi l’indice d’un reste anamorphique ? [14]

Le sujet névrosé rendu ici momentanément débile se défait de sa « faute». Ce n’est pas lui en tant que personne phyisque mais le sujet du signifiant qui a été dans un contact quasi incestueux avec des signifiants de l’Autre, se rapportant au réel du rapport sexuel. Le sujet s’en approche au prix de sa castration, indiquée par la perte des signifiants problématiques dans le procédé qualifié par Freud de refoulement qui réinitialise le processus libidinal.

Dans la propre vie de Freud, nombreuses sont les incidences des oublis ou des résistances à la représentation. On lui connaît une certaine sensibilité à l’endroit du vocable Si, premières lettres de son prénom.  En effet, l’élément perdu quand il recherche le nom du peintre  « Signorelli »,  correspond aux premières lettres de son propre prénom, prénom qu’il a changé à l’adolescence en passant de Sigismund à Sigmund. Il ôte une syllabe  is, l’anagramme[15] de  Si, en rapport avec son identité Juive. Plus tard, les conflits sur les changements de nom deviendront importants dans son texte «L’homme Moise et la religion Monothéiste ».

Dans la biographie de Ernest Jones, la question du nom revint en force avec  ‘l’oubli’ par Jung et Riklin de mentionner le nom de Freud dans leurs articles suisses au sujet de la psychanalyse. Jung répond aux reproches de Freud en disant qu’il est superflu de mentionner son maître, au vu de sa renommé. Freud prend ce manque de reconnaissance comme personnel et bien qu’il réussisse à remporter une petite victoire sur Jung, il perd connaissance  quelques instants plus tard. Revenu à lui, il dît : « Combien cela doit être doux de mourir ! ». Plus tard, il met cette scène en relation avec une autre, similaire, avec Fliess, où il sent les premiers signes de séparation.

Freud a analysé ces crises, les rapportant à sa petite enfance et à la mort de son jeune frère. Pour lui, son symptôme était un exemple du cas de ceux qui sont rongés par la réussite, et dans son propre cas, celui d’avoir vaincu un adversaire, en l’occurrence par le souhait accompli de la mort de son petit frère. Jones met en rapport ces crises à un « Trouble de Mémoire sur l’Acropole » où, selon Freud lui-même, ce trouble serait associé au souhait de dépasser son propre père. [16]/[17]

On peut se recentrer sur la question de l’oubli, qui n’est pas seulement oubli du nom mais surtout résistance de la représentation. Est-ce que cette résistance de la représentation est, comme le dit  Pierre Fedida, surtout une résistance de la représentation de meurtre,[18] celui du père primitif ?[19] Fedida désigne par le terme  d’oubli  un matériel inconscient « enclavé » tel un corps étranger.  Selon lui, si la mort dans un meurtre est nécessairement mort violente, elle met en conjonction haine paranoïaque et suicide mélancolique, chacun donnant intelligibilité à l’autre. La mise à mort du père idéalisé rejoint ainsi la tentative de restaurer le père.[20] Lacan note la préférence que Freud garde pour Totem et Tabou donnant au signifiant que représente la paternité un statut sans équivoque : « le vrai père, le père symbolique, est le père mort. Et la connexion de la paternité à la mort, que Freud relève explicitement dans maintes relations cliniques, laisse voir d’où ce signifiant tient son rang primordial. »[21] 

  Chez l’obsessionnel, la mort véritable du père arrive au premier plan. Ce mort doit retrouver la vie dans le symptôme du fils. Ainsi les meurtres imaginés donnent une vie symbolique au père défunt. L’économie narcissique du deuil – dans ses rapports à la culpabilité – est centrale pour comprendre la fonction a-symptomatique de la violence dans la psychopathologie. « Ce qui se trouve en cause, c’est la qualification régressive du psychique et le rôle que vient y jouer l’enclavement de la mort (ou du mort) comme corps étranger d’un deuil impossible. [22]

Fedida rejoint Freud là où la trace d’un événement traumatique sera enclavée dans le psychisme. C’est encore sous cette forme que le père de la horde rejoint aussi la Chose, où l’artefact d’une relation coupable et archaïque est conservé sous forme de symptôme d’oubli.  Fedida propose ainsi de façon implicite l’oubli comme forme de résistance contre la violence. Vue de cette façon, la violence rejoint la dsymorphophobie proprement dite par l’écrasement de l’intervalle entre les signifiants de la vérité et du savoir (les deux ‘premiers’ signifiants). Là encore, où Fedida parle du corps, Lacan parle de signifiants. Aucun corps n’est enclavé au moins qu’il soit signifiant. Aussi, l’action ici est celle des signfiants. Cependant l’effet des signifiants est réel.  Par ailleurs, nous avons remarqué comment Michel L commémore la mort accidentelle de son père avec une recrudescence des phénomènes dysmorphophobiques et psychosomatiques, s’accusant du meurtre de son père le jour de son propre anniversaire : « J’ai tué mon père et je suis dans la glace. » Ici, comme nous l’avons remarqué, l’auto-accusation ne représente pas la faute dans sa dimension imaginaire, comme chez l’obsessionnel. Ici la faute est dans le réel.[23] Le meurtre (qui n’est pas la vraie cause de la mort du père) n’est pas ‘oublié’. Il résiste à la représentation et comme tel il est commémoré. A la différence de la névrose obsessionnelle où la dimension de la faute surgit comme élément qui empêche ce rapport quasi incestueux à la Chose, ici le rapport à la Chose amène le malade  à  s’accuser de meurtre. 

Il nous semble difficile de continuer à utiliser simplement l’expression « absence de distance entre le corps de l’enfant et le corps de la mère ». En effet, nous aimerions distinguer non seulement les différentes formes de contiguïté ou de métonymie mais aussi différencier la métonymie de la Chose avec l’absence de distance avec la mère, pour finalement comprendre comment dans ces processus quelque chose comme un corps étranger reste imbriqué même dans la névrose.

Prenons l’exemple de la répétition par l’Homme aux loups de la phrase prononcée la première fois par sa mère: « Je ne puis continuer à vivre ainsi (so kann ich nicht mehr leben »). Elle réserve bien sûr une identification étroite avec la mère, mais ne constitue pas, à notre sens, la métonymie de la Chose [24]. L’utilisation d’une métonymie des mots par l’homophonie se retrouve dans la chaîne parlée telle que nous l’avons observée chez les névrosés aussi bien que chez les psychotiques. Par exemple, nous avons noté  les répétitions du signifiant  age. Cette répétition ne constitue pas par elle-même ce que nous appelons la métonymie de la Chose, bien qu’elle souligne le rapport du sujet à son histoire. Ce rapport demeure inconscient chez le névrosé. La métonymie de la Chose peut faire resurgir des affects troublants et empêcher le sujet de penser.

Alors que Fédida développe l’hypothèse de la névrose obsessionnelle en tant que névrose de contrainte (la pathologie infantile de l’Homme aux loups selon Freud) considérant qu’elle « porte en elle-même une théorie de la pensée comme contact » [25], la théorisation d’un contact des corps érotisés comporte deux difficultés. La première concerne la transposition de ce phénomène dans l’aire de traduction des phénomènes de langage dont les néologismes, les lapsus, les mots d’esprit ou la dyslexie ne représentent qu’une partie. La deuxième difficulté, peut-être la plus importante, concerne le diagnostic différentiel. Cette dernière est en partie résolue si nous prenons en considération la place du sujet en référence aux premiers signifiants.       

La métonymie de la Chose concerne un rapport où le sujet schizophrène, ou autiste, se réduit à être l’objet de la mère,[26] comme nous avons pu l’observer aussi chez l’enfant Luc par exemple [27]. L’utilisation d’un terme de la rhétorique pour cerner ce rapport semble appropriée parce que l’objet en question, le petit enfant, s’identifie dans les mots de la personne qui s’occupe de lui lors des premiers soins. Nous avons remarqué dans le cas de Léa que le signifiant « ri » venant du mot « sourire » dit par sa mère, finit par la nommer ou au moins nommer son personnage dans le dessin. Il y a une identité entre ces mots et le sujet. Cette identité diffère d’une identification avec les signifiants, comme c’est le cas chez l’Homme aux loups quand il dit par exemple : «Je ne puis continuer à vivre ainsi. » Par contre, pour le sujet schizophrène, le mot est la chose et c’est à ce mot de la mère qu’il se réduit. Ce mot concerne semble-t-il une bipartition, mais seulement, pour Michel L et ces sujets psychotiques ou autistes, dans l’acte. 

 



[1]                     Extrait de thèse BONNEAU, B. (2001) puis BONNEAU, B. Les mots dans l'oeil,jeux de la vérité de l'être speculaire,  juin 2004 (voir infra).   Dans l'attente d'une réédition de mon livre, plusieurs lecteurs m'ont demandé la présentation de ce chapitre sous forme d'extrait. Veuillez m'excuser si vous lisez ceci pour la première fois. Je n'ai pas fait le travail nécessaire pour le rendre lisible en tant qu'article indépendant. Néanmoins, si vous lisez ma thèse,  ou alors les autres articles sur le site, vous pouvez plus facilement y trouvez sens.           

[2]                    Pour Mélanie Klein, le mécanisme à l’œuvre dans la phobie de l’Homme aux loups est clairement une projection de type paranoïaque qu’elle tient pour responsable de l’épisode psychotique et des troubles graves chez ce sujet. Elle distingue cette phobie de celle qui fait symptôme dans le cas du Petit Hans. Les travaux de Steckel au sujet des troubles de cette nature sont plus ou moins absorbés par les travaux de Mélanie Klein.

[3]                  Voir supra. A partir du terme Verwerfung.  Note après 2004 : Depuis ma thèse, (soutenance Novembre 2001), la mise sous presse de la première édition de ce livre (juin 2004), son premier dépôt par agent public (Etude Lambert, Beaune, le 15 septembre 2004) et sa parution BNF (décembre 2005), plusieurs auteurs dont Marie-Jean Sauret et Michel Bousseyroux, ont également débattu cette question à partir du cas de l’Homme aux loups. Alors que Marie-Jean Sauret soutient  les arguments pour une névrose dans « Les hommes aux loups », Novembre 2004, publié en Psychanalyse, 2005,  Eres, Toulouse. Michel Bousseyroux continue à soutenir des arguments en faveur de la psychose, « De la fêlure aux gouffres »,Wunsch 2, Bulletin International des Forums du Champ Lacanien, N°2, Juin 2005,  (notes de séminaire à Toulouse de  l’année scolaire 2004-2005) et  Le Mensuel, N°28, « L’identité,  le passeport du fantasme », Novembre 2007, Paris, EPFCL. 

[4]                  N. Abraham et M. Torok, Cryptomanie, le verbier de l’Homme aux loups, op.cit., p.117-118, p. 233-234.  Souligné dans le texte.

[5]              Note ajoutée après 2004 : La métonymie de la Chose peut aussi simplement être appelé: Trou dans le sens que c’est ce que le sujet voit, lorsque cet intervalle se ferme.

[6]  Voir supra.

[7]                  Lettre  du 23 octobre  1968 à Muriel Gardiner in op.cit.,   p. 336. 

[8]                  S. Freud,  « Le Moi et le ça », op.cit., p.266.

[9]                  M.C. Lambotte,, Le discours mélancolique, De la phénoménologie à la métapsychologie, in op.cit., p. 561-579. Toute la  description de la mélancolie qui suit dans mon texte est issue de ce travail remarquable.

[10]                  Ibid. p. 569.

[11]                  S. Freud,  « Observations sur l’amour de transfert » 1915,  traduit d’allemand par Anne Berman in La technique psychanalytique, P.U. F. Paris, 1953, 120. Souligné dans le texte.

[12]                  J. Lacan,   Le Séminaire XI, op.cit., p. 36.

[13]              Ibid. p. 116. Souligné par nous.

[14]                  B. Bonneau,  « L’holophrase : repère de diagnostic ? »Octobre 2003 in Tout n’est pas langage, Revue du Psychanalyse du Champ Lacanien, Numéro 1, Editions FCL-EPCL, Paris, Mars 2004, p.50-51.

[15]               Le lecteur pouvait se référer aux écrits non édités dans son temps de F. DeSaussure, « Anagrammes » in J. Starobinski, Les mots sous les mots, les anagrammes de Ferdinand de Saussure, essai, Paris, Gallimard, collection, « Le chemin », 1971, 161p. . L’anagramme revoit pour DeSaussure à la substance phonique des mots.

[16]                  E. Jones, The life and work of Sigmund Freud, Vol.1, 1856-1900, The formative years, et Vol. 2, 1901-1939, New York, Basic Books, Inc. 1953, Vol. 1, p. 317, et Vol. 2, p. 146

[17]                  S. Freud, « Sur le mécanisme psychique de l’oubli », in Résultats, idées, problèmes, vol. I, Paris, P.U.F., 1984, pp. 99-107.

[18]                                 P.Fedida « L’oubli du meurtre dans la psychanalyse » in Le site de l’étranger, Paris, P.U.F., 1995, p. 36-37. Nous rapprochons le meurtre du père primitif avec  l’expression lacanienne meurtre de la Chose sauf sur un point, le signifiant primordial, signifiant phallique, a un statut particulier. Voir suite.

 

 

[19]                                 Ibid.

[20]                  Ibid., p. 40-41.

[21]                                 J. Lacan, in Études Philosophiques 1956,n° 4 (numéro spécial), pp. 567-584, p. 567.

 

 

[22]                  P.Fedida « L’oubli du meurtre dans la psychanalyse » in Le site de l’étranger, op.cit., p. 41.

[23]                  Cependant l’auto-accusation n’est pas à confondre avec les auto-diffamations que nous avons remarqué quand le sujet s’accuse d’être une « vache à lait », un « déchet », un « chiale », etc.. Ces hallucinations-ci  sont les effets d’un dispositif particulier chez le schizophrène.

[24]              Note ajoutée après 2004 : C’est plus une métonymie de le chose. Cette chose là est ce qui empêche de vivre ou de faire vivre.

[25]                  P. Fédida,  « Un organe psychique hypochondriaque, Traitement psychique autocratique » in La Névrose Obsessionnelle, Monographies de la Revue Française de Psychanalyse, sous la direction de Bernard Brusset et Catherine Couvreur, Paris, P.U.F., 1993, p. 114. 

[26]                    Cette expression ne veut pas dire que la mère prend son enfant pour objet. Elle  identifie plutôt une position où l’autre ne se différencie pas du sujet par l’introduction d’un tiers. Selon la logique lacanienne, cette expression se rapporte alors à une non-différenciation des signifiants où le signifiant du sujet est pris dans les filets du signifiant de l’Autre.

[27]                  Voir supra.